HISTOIRE - Assez régulièrement, le débat de la date de fin du Moyen Âge et du début de la Renaissance revient sur le devant de la scène. L’homme aime à cadrer toutes choses. Il est cependant évident qu’aucune transition ne s’est réalisée du jour au lendemain. Si la date que nous retenons en France est 1515, c’est qu’elle correspond à une victoire – pas si glorieuse d’ailleurs – celle de Marignan. Dans 1520 – Au seuil d’un nouveau monde, Guillaume Frantzwa, archiviste paléographe et docteur en histoire de l’art à Paris I, en propose une autre, beaucoup plus inattendue.
1520 n’est pas une année clé de l’histoire. Pas ou peu de guerres, pas de grands traités signés, elle ne correspond à rien de bien précis. Et pourtant, d’après Guillaume Frantzwa, il s’agit d’une date charnière extrêmement importante. Pourquoi ?
Les XIV et XVe siècles ont été le théâtre en Europe et donc dans la Chrétienté (deux entités alors presque indissociables) de nombreuses guerres qui ont laissé les pays exsangues et engendré de nombreux chamboulements géopolitiques. C’est aussi une période qui connut une crise de l’Église sans précèdent avec le Grand Schisme et la présence de deux papes dans la Chrétienté, un à Rome et l’autre en Avignon … puis un troisième à Pise. « Trop impliquée en politique, l’Église finit par rencontrer l’écueil que rencontre tout État temporel un jour : la guerre civile entre deux partis opposés. »
Au début du XVIe siècle, l’Europe panse ses plaies et si elle ne guerroie pas, elle bouge ses pions sur le grand échiquier.
L’historien détermine quatre grands domaines pour lesquels 1520 est une date primordiale : les enjeux politiques, l’essor du Nouveau Monde, l’évolution artistique et l’idée de la religion.
Trois monarques, aux caractères différents mais aux egos tout aussi démesurés se font face :
Charles Quint, roi des Espagnes de 1516 à 1556 et empereur du Saint Empire Romain Germanique de 1519 à 1556 ; François Ier, roi de France de 1515 à 1547 et Henri VIII, roi d’Angleterre et d’Irlande de 1509 à 1547.
Chacun voulant gagner les faveurs de ce dernier, afin de former une coalition contre celui qui restera seul. Cette coalition se fera à grand renfort de diplomatie organisée par les ambassadeurs et les banquiers qui n’auront de cesse de négocier promesses de non-agressivité et autres mariages. Cela débouchera parfois sur des rencontres entre dirigeants, à l’image de celle qui fut organisée entre François Ier et Henri VIII en juin 1520, le camp du Drap d’Or. Fiasco diplomatique où chacun avait dans l’idée d’éblouir et d’humilier l’autre. Vrai duel final « pour rire » entre les deux rois, François Ier bien plus grand et plus athlétique gagne, Henri VIII se vexe, résultat : pas d’alliance ! « Les deux coqs se battaient en duel pour impressionner la basse-cour après avoir joué aux paons ».
Cette même année, Charles Quint est couronné empereur du Saint Empire Romain Germanique. Mauvaise période pour François Ier, qui briguait également cette couronne.
Le camp du Drap d'Or
Attribué à Hans Holbein le Jeune (c. 1497-1543) - Domaine public
1520 correspond également à une prise de conscience, celle de valeur ajoutée que peut apporter le Nouveau Monde. Si, initialement, les grandes expéditions avaient pour but de contrer le monopole commercial de Venise, il apparaît très nettement à l’Espagne et au Portugal – les deux premiers pays à s’être lancés dans cette aventure – que les gains vont pouvoir être conséquents. Gain de terres à exploiter, de richesses à rapporter et, qui sait, il se trouve peut-être sur place des chrétiens égarés, « perdus depuis le temps des Apôtres. » Dans la réalité pas de chrétiens sauvés mais des peuples exterminés. C’est en 1520 que l’Empire Aztèque est mis à bas par Cortès et ses hommes !
Du côté des Arts, différentes écoles rivalisent de créativité. La peinture dite flamande face à la peinture italienne, les architectes gothiques face à ceux de l’architecture style Renaissance, italienne en grande partie elle aussi. Mais là encore la rupture entre les deux styles n’est qu’une idée. Ces écoles ont cohabité ensemble fort longtemps. La croyance qui veut que le style Renaissance ait éclipsé toutes les autres tendances vient, d’après l’auteur de cet essai, des Italiens eux-mêmes : « la suprématie de la Renaissance sur un monde sortant du brouillard du Moyen Âge est un mythe inventé par les Italiens […] au milieu du XVIe siècle pour leur propre glorification. »
En France, François Ier, roi bâtisseur inconstatable, est réputé pour son goût pour l’art Italien. Néanmoins, la construction de Chambord, qui débuta en 1520, et dont les plans ont peut-être été initiés par Léonard de Vinci, ne doit pas faire oublier que la quarantaine de chantiers dans le pays, dont quasiment la moitié qui concerne des cathédrales, églises, chapelles, etc., sont dans une grande majorité de style gothique.
Que des édifices chrétiens s’élèvent toujours ne signifie pas que l’Église se porte bien, loin de là. Le peuple vit dans le « monde des espoirs et des rêves inaccessibles des populations déçues, voire apeurées par leur quotidien ». Il ne peut, contrairement aux plus riches, s’acheter des indulgences et ainsi sauver son âme.
Mais s’il a peur, le peuple commence à s’interroger. Les esprits s’agitent. Peut-être grâce à l’essor de l’imprimerie qui permet d’insuffler des idées nouvelles qui ouvrent la voie à une façon de penser la foi et la pratique du culte différemment. Depuis 1517, un homme, Martin Luther, souhaite apporter son « aide » à l’Église dans son entreprise de réforme, car oui l’Église sait qu’elle doit évoluer … mais pas trop vite. Quatre-vingt-quinze, c’est le nombre de thèses nouvelles que Luther propose et diffuse le plus largement possible, il ne ménage pas sa peine pour convaincre, il est prédicateur, c’est son métier, il sait haranguer les foules, il le fait même trop bien. Le 15 juin 1520, le pape Léon X lui demande, sous peine d’excommunication, de retirer quarante et une de ses thèses. Luther refuse, le bûcher est inconcevable tant il a réuni de fidèles autour de lui. La rupture est consommée, ce sont les prémices du protestantisme.
À cette crise interne, s’ajoutent les velléités nationalistes des rois qui souhaitent s’affranchir de l’autorité papale. L’Église ne s’en relèvera pas. Si elle continue de jouer un rôle religieux important, son rôle politique se réduit comme peau de chagrin.
« La raison d’État est la notion qui émerge en 1520. »
Il y a 500 ans, année pour année, rien de particulier ne s’est passé et pourtant Guillaume Frantzwa, à travers une étude exhaustive, nous démontre que c’est fort probablement au cours de cette année que « d’importantes inimitiés, courant parfois jusqu’au début du XXe siècle, sont apparues », dessinant plus surement le monde moderne et par extension l’ère contemporaine.
Guillaume Frantzwa – 1520 – Perrin – 9782262085407 – 20 €
Paru le 19/03/2020
272 pages
Librairie Académique Perrin
20,00 €
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