En 1972, l’Association des Shérifs du Wyoming avait organisé, comme chaque année, un voyage un peu mythique entre Cheyenne et Evanston, et retour, à bord du Western Star, un train lui aussi mythique, à vapeur, de l’Union Pacific : une légende vivante sortie de son hangar pour une sorte de promenade à laquelle participaient, sous la houlette du Président de l’Association, Marv Leeland, vingt quatre shérifs dont Lucian Connaly, le shérif du comté d’Absaroka, accompagné par le seul adjoint de la bande, un certain Walter Longmire (!!!) entré depuis peu en fonction après des années d’errances diverses dont certaines passées au Viet Nam.
Une seule femme, et pas du genre légitime épouse, était présente aux côtés du shérif Mc Kay qui veillait sur elle avec la hargne et les yeux féroces du mâle jaloux n’entendant pas laisser tourner trop près, autour de sa compagne, d’autres mâles aux intentions peut être déplacées…
Et mis à part les deux mécaniciens aux commandes de la locomotive, l’agent spécial de la compagnie chargé de la sécurité et un chef-cuisinier-agent-à-tout-faire, aucun autre passager n’était admis pour ce voyage un peu particulier dans un train dont les rénovations successives ne laissaient pas totalement ignorer l’âge vénérable.
Alors qu’il regagnait son wagon après avoir taillé une bavette avec les mécaniciens dans la locomotive lors d’un arrêt périodique indispensable pour refaire le plein d’eau pour la chaudière à vapeur, l’adjoint Longmire a été estourbi pour le compte et abandonné inconscient dans la neige alors que le convoi reprend sa route.
Mais quand il a enfin pu rejoindre le train, à l’un des arrêts suivants, avec la ferme intention de s’expliquer virilement avec le seul coupable qu’il puisse imaginer, c’est pour se voir accusé du meurtre d’un des shérifs ! Le président Leeland avait été retrouvé , lui aussi abandonné au bord de la voie à un précédent arrêt : la Compagnie en avait averti l’agent spécial alors que le convoi était déjà reparti sans que qui que ce soit se fut aperçu de l’absence du président.
Quarante ans plus tard, le shérif Walter Longmire a quitté le comté d’Absaroka pour assister, à Cheyenne, à la énième tentative des avocats d’un dangereux meurtrier d’obtenir de la Cour la libération conditionnelle de ce dernier pour « causes humanitaires » puisqu’il est, selon les médecins, à l’article de la mort : une libération soutenue par l’épouse du Gouverneur de l’État du Wyoming qui semble vouloir faire de cette libération un moment phare du mandat de son mari.
Démarche qui ne reçoit aucunement l’assentiment de Longmire qui, autrefois, a procédé à l’arrestation du meurtrier et qui, par respect pour les familles des victimes, considère que la peine à perpétuité qui lui a été infligée, ne soufre aucune rémission ni adoucissement compassionnel.
Mais il semble bien que les pressions des avocats, de l’épouse du Gouverneur, du Gouverneur lui-même, les manœuvres d’un journaliste local et les traces lourdes de rancœur d’affaires anciennes se coalisent pour contrecarrer l’inflexible shérif.
Les choses sont donc en place pour que la passé resurgisse dans le présent dans un nouvel opus des enquêtes du shérif Longmire qui part sur les chapeaux de roues et dans le tonnerre du Western Star lancé sur ses rails.
Craig Johnson nous propose là un roman écartelé par les quarante années qui séparent un tout jeune adjoint faisant ses premiers pas dans un métier qu’il hésite encore à faire sien, de celui qui, depuis, est devenu un veux shérif couvert de cicatrices acquises au fil du temps et dont il nous a régalés avec des polars si brillamment racontés.
Ce n’est certes pas une innovation narrative du genre que de faire rejoindre présent et passé dans un roman, qu’il soit policier ou non, mais il faut reconnaître que l’auteur y ajoute son propre piment (celui qui, pour moi, fait le charme de cette série dont je ne me lasse pas) : avec une malicieuse habileté les deux périodes se télescopent sans jamais laisser au lecteur assez de pistes lui permettant de mener à bien sa propre enquête avec les indices semés au fil du récit.
Les personnages qui peuplent l’entourage du shérif prennent vie et corps dans ce roman où Craig Johnson fait commencer bien des choses qu’il a déclinées tout au long de la grosse douzaine de livres dont le shérif Longmire est le héros : Lucian Connaly, le vieux shérif auquel il a succédé, Martha, l’épouse trop vite disparue, L’Ours, l’inséparable alter ego… Tous sont là pour contribuer à forger le passé de cet homme devenu une icône vieillissante mais qui garde toujours l’enthousiasme et les convictions qui ont été sa marque de fabrique.
À la manière d’Agatha Christie et de son magnifique Crime de L’Orient Express, Craig Johnson élabore un huis clos terriblement efficace où il mêle diaboliquement ces shérifs censés représenter l’ordre et le faire respecter mais qui ne sont pour autant pas dénués de toute arrière pensée et conservent ce fond de cow-boys toujours prêts à sortir et faire usage de leur arme comme au bon vieux temps où la poudre parlait souvent plus vite que la justice ! Or, le Wyoming, c’est quand même déjà un peu le Far West. Et Longmire, s’il essaie souvent d’éviter l’usage de cette poudre, reste aussi souvent un adepte des médecines fortes… Là, il ne déroge pas à cette image de géant à la carrure d’un « réfrigérateur qui encaisse souvent des coups qui n’ont d’autre effet que de renforcer sa détermination ».
Faire renaître, dans ces pages, un vétéran de la conquête de l’Ouest en la figure de cette locomotive à vapeur Northern 8444 classe FEF-3 que les amateurs de la légende du chemin de fer (charbon ET vapeur!) ne manqueront pas d’apprécier au fil de quelques évocations, est aussi un plaisir que l’auteur ne se prive pas de partager avec ses lecteurs. Avec des images de « cartes postales » qui ne manquent pas de défiler dans l’imagination de tout un chacun quand le train trace son chemin au milieu de ces espaces immenses qui font face aux premiers contreforts des Rocheuses (si la prose de Craig Johnson ne vous suffit pas, je vous conseille quelques recherches rapides sur internet : pas écolo-écolo, surtout la fumée, mais impressionnant!).
Et puis, cerise sur le gâteau, une fin haletante qu’il est impossible de ne pas évoquer mais dont il ne faut, bien sûr, rien dire tant elle est étonnante au point que le Los Angeles Time l’a qualifiée de « si surprenante que même Agatha Christie n’aurait pu [l’]imaginer ». Compte tenu de l’œuvre impressionnante d’Agatha Christie et des intrigues qu’elle nous a offertes, je n’irai peut-être pas jusqu’à faire mienne cette affirmation mais je dois reconnaître que là, Craig Johnson a fait très fort.
Paru le 07/10/2021
375 pages
Editions Gallmeister
23,80 €
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