Dans ses chassés-croisés, l’auteur dépeint un grand voyage entre la France, la Namibie et le Vietnam pour nous dire que le monde est apparemment un bel endroit. À travers le prisme d’un animal étrange et du sort qui lui est fait, le lecteur vaque de rencontre en rencontre, de scène en scène dans ce monde qui s’annonce, beaucoup plus vil et hostile qu’il n’y paraît.
C’est un roman très surprenant, et parfaitement abouti. Le monde est un bel endroit raconte l’histoire d’une vie. Sans doute. Ou pas. Peut-être une juxtaposition de plusieurs vies, de plusieurs trajectoires qui se croisent et s’entremêlent ici dans une succession de bribes, entrecoupées par des dialogues, des échanges. La trame livre des vécus aussi inattendus que puissants. Dès les premières pages, le ton est assuré, la structure est plantée et l’histoire s’anime toute seule, on dirait qu’elle se libère dans un texte haletant et très érudit, aussi bien quand il convoque le trauma d’Aurore que les assauts meurtriers de Silas. Impossible d’être indifférent au composite de chaque personnage très bien décrit, campé.
On observe avec attention les mouvements des uns et des autres, héros et héroïnes qui évoquent la cruauté de toutes histoires, les transversalités des rencontres, les souffrances et les violences. Didier Desbrugères frappe fort avec ce troisième roman, véritable odyssée romanesque qui ressemble à un livre à clefs, et qui nous tient en haleine par l’envergure de tout ce qui se déploie au cœur de la fresque : on s’attarde sur tous les aspects de l’œuvre, interpellés autant par la maîtrise narrative que par la résilience qui borde et cadre le récit.
Je fus très touchée par la façon dont l’auteur appréhende ce fait divers, et par la façon dont il délivre un message humaniste contre toutes les souffrances faites aux animaux. Je fus très sensible à ce style impeccable qui raconte les corps, les turbulences, les mentalités, les mouvements d’antan, et les atmosphères inconnues. Autant que la violence, la dureté des protagonistes — les scènes du début peuvent apparaître rudes et « envoient du bois » clairement — j’ai aimé sentir et déceler une certaine douceur qui contrebalance avec la sauvagerie indigne des braconniers, ainsi qu’une certaine tendresse — comme le montrera l’extrait ci-dessous — qui vient se nicher dans ces histoires passionnelles.
J’ai aimé la justesse du ton, ainsi que tout ce qui est posé dans les reliefs vietnamiens : c’est pulsionnel, immédiat et élastique. L’écriture est belle et soignée, elle est comme une révélation qui se cueille à chaque page, et qu’il faut savoir saisir.
J’ai lu un livre très structuré qui se lit d’un trait, et à plus d’un égard, ressemble à une histoire à tiroirs. Il y a un semblant de quête qui renverse tout sur son passage. C’est un ouvrage brillant qui bouscule et gagne en efficacité au fil des pages. La manière dont sont traités les décors et les gens est surprenante : les personnalités des uns et des autres sans que rien ne sombre jamais dans la facilité ou la caricature sont d’une extrême efficacité. L’arborescence du texte, son esthétisme, et tout ce que l’auteur nomme par cette narration qui tresse trois récits et trois destins croisés, est profond et spirituel. Impossible de passer, outre l’aspect incisif des démonstrations, le côté cash des individus qui se font de l’œil, pris en flagrant délit d’eux-mêmes et cela, sans y toucher. Bravo pour cette belle réussite, et bravo à l’éditeur d’avoir publié ce texte ardent.
Extrait : « Après le repas, Aurore passe de nouveau un moment seule dans le salon baigné d’une lumière miellée, que diffuse la large tulipe en verre orangé veiné de bleu de la lampe Art déco. Léonie la trouve assise avec son chien à ses côtés, la tête posée sur son genou. La vieille dame se fige, saisie par son immobilité hypnotique. Apparemment tranquille, la jeune femme montre les signes d’une étrange oppression. Elle se dresse soudain et, le regard fixe, s’avance jusqu’à la petite bibliothèque où Colette et Olympe de Gouges se partagent la vedette, deux admirations qui, venant de quelqu’un qui fut à deux doigts de prononcer ses vœux, ont toujours rempli Aurore de perplexité.
Une pâleur de craie a pris possession de son visage. Devant ses yeux, ignorante du trouble dont elle est la cause, adossée à l’alignement soigné des livres, se montre une reproduction au format d’une carte postale d’une célèbre gravure sur bois d’Albrecht Dürer. On y voit un rhinocéros représenté par l’artiste en 1515 d’après une description écrite. L’animal est unicorne. Il figure un rhinocéros indien débarqué la même année à Lisbonne, le premier à faire son apparition sur le continent européen depuis l’antiquité.. »
Paru le 20/01/2022
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Une heure en été
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