Préface
D’après mon éditeur, ce livre n’est pas comme les autres : c’est un texte de combat, un cri de guerre. Je suis d’accord avec lui. Telle est bien l’idée principale de mon livre : aujourd’hui, les chimères sont de retour, et elles ont fait irruption dans notre vie. La guerre est désormais inévitable. Les chimères, ce sont toutes ces idéologies, traditions et coutumes qui n’ont pas leur source dans notre raison, nos expériences individuelles ou notre instinct de survie. C’est tout ce qui va à l’encontre de notre nature, de notre rationalité, de notre liberté ou de notre bonheur. Une chose me surprend : dans les dernières décennies, notre civilisation et nos modes de rationalité ont effectué des progrès fulgurants : de puissants réseaux sociaux, l’intelligence artificielle et les technologies nous permettant d’explorer Mars ont été inventés. Mais dans le même temps, l’homme se sent de moins en moins en sécurité sur terre : il est attaqué par les forces de l’obscurantisme, les chimères ; sa raison recule. Les chimères nous entraînent vers la barbarie, vers un état sauvage. Jadis, on rêvait d’un « retour vers le futur ». Aujourd’hui, on tremble de peur d’être avalé par une archaïque chimère.
Me voilà donc parti en guerre contre les chimères. J’ai parfaitement conscience que je suis un piètre chef d’armées : mes ennemis, les chimères, sont si nombreux et si puissants que, pour les défaire, il me faudrait réunir une légion d’hommes politiques, de philosophes, d’historiens et de volontaires. Or, je suis seul. Tout ce que je peux faire, c’est désigner clairement les choses, sans rien cacher et sans compromis, et appeler les gens à résister à l’influence grandissante des chimères. La faiblesse de mes moyens ne m’empêche pas de mener ce combat, qu’importe si mes réalisations peuvent paraître insignifiantes à l’échelle mondiale : la Fondation Espoir, que j’ai créée et placée sous l’égide de l’Unicef, lutte contre les mutilations génitales féminines dans les régions d’Afar et de Somali d’Éthiopie avec beaucoup de succès. Il y a dix ans, j’ai appris l’existence de cette pratique criminelle, toujours populaire à travers le monde, et je n’ai toujours pas réussi à m’en remettre – c’est comme si une partie de mon cerveau avait été infestée par l’obsession de ce mal terrifiant. Dès lors, une réflexion sérieuse sur la nature humaine et sur l’influence des croyances polythéistes, des traditions culturelles et des religions sur les civilisations s’est imposée à moi comme une nécessité.
Il me plaît de considérer ce livre comme une tentative désespérée pour retrouver l’ « air volé » – très belle expression que j’emprunte pour l’occasion à Osip Mandelstam. Remarquable poète russe et témoin de la terrible famine et des actes de cannibalisme survenus en Crimée de 1921 à 1923 il écrivit en 1933 l’un des poèmes les plus fameux qui traite de l’ère de Staline : Nous vivons sourds à la terre sous nos pieds. Mandelstam dit que la liberté d’expression dans un pays opprimé s’apparente à de l’ « air volé » (air que j’ai respiré à volonté lorsque je vivais dans l’ancienne URSS « libre »). Ces écrits lui coûtèrent sa vie : Mandelstam est mort au Goulag en 1938. Pour ma part, j’ai ressenti une envie brûlante, indomptable, d’écrire ce livre au moment où, précisément, je ne pouvais plus respirer. J’ai compris que, si je ne faisais pas quelque chose, je ne pourrais plus jamais vivre en paix et je finirais par haïr non plus des chimères mais moi-même.
Extraits
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