#Roman francophone

Gens de brume

Nimrod

Ce livre conte les âges de la vie, quand tout n'est finalement devenu qu'histoires d'amour. Des rivages d'un fleuve africain où vivent les gens de brume jusqu'aux berges bleues du Gard, la beauté a façonné la prose de Nimrod, peuplé sa poésie d'exils des sens et de mémoires fragiles Poète, essayiste, romancier, Nimrod est né au Tchad. Sa prose est publiée aux éditions Actes Sud, sa poésie aux éditions Obsidiane et Bruno Doucey. Sa très belle anthologie personnelle vient de paraître dans la collection Poésie/Gallimard.

Par Nimrod
Chez Actes Sud Editions

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Auteur

Nimrod

Genre

Littérature française

à Éliane & Éliette

et notre promenade sur

l’océan de pierres au-dessus de Sauve

 

 

Ainsi ceux qui aiment un parfum jusqu’à partir pour le Liban en respirer l’essence, et ne trouvent que son bois d’origine tout juste odorant si on le frotte avec le nez.

 

Jean Giraudoux,

Sieg fried et le Limousin.

 

 

 

 

I

 

 

 

Le matin, je suis ralenti. Ma mère ne me presse jamais. J’aimerais me précipiter dans ses bras, mais ce geste me pèse. Mes articulations craquent ; je m’attable à tâtons. C’est au saut du lit que j’apprends à me composer un parfum d’estime.

Ma mère a déjà apprêté la bouillie de riz à la pâte d’arachide. Ce n’est pas une mixture de tourteau. Elle prépare elle-même la pâte. L’arachide utilisée est une variété blanc ivoire comparable à une cacahuète américaine. On en tire plutôt du lait que de l’huile. Ma mère la broie, lui faisant dégorger une eau transparente. Aussi le goût, l’odeur et l’atmosphère de la maison sont-ils si particuliers lorsque je mange la bouillie. Elle tranquillise les heures.

La pâte d’arachide est prête. Maman prend une cocotte, y verse le contenu d’un verre de trente centilitres environ. Si c’est une petite semaine, deux verres suffisent – ou peut-être trois. Si c’en est une grande, deux fois deux verres.

Dans la cocotte no 3 ou no 5 (familièrement appelée “ciment”), le riz, lavé au préalable, mijote dans la quantité d’eau appropriée. Dès l’ébullition, maman veille à ce que le feu reste doux. Quelquefois, elle fait alterner feu doux, feu fort. Un détail qui a son importance : le riz est choisi pour ses qualités gustatives et esthétiques. Il est long, brillant, dodu, translucide. Plongé dans l’eau, c’est à la fois un aliment et une pierre : une étoile comestible. Il ne colle ni ne se disloque tout au long de la semaine où la bouillie est réchauffée.

Lorsqu’il est cuit, lorsque le feu atteint son cœur, maman ajoute de la farine pour faire du liant. Elle tourne, retourne le mélange. Elle lui consacre toute son attention pendant vingt à vingt-cinq minutes. Les braises sous la cocotte sont à moitié éteintes. Dans l’entre-deux, maman ajoute une lampée de lait aigre par vagues successives – elle le tourne, le retourne. Elle le goûte, ajoute encore du lait ; parfois une ou deux cuillérées à soupe de sucre blanc. Elle tourne, tourne, tourne le suc digne des cheveux d’ange.

Elle dépose par terre la cocotte, prévenant ainsi l’odeur qui viendrait affoler son nez en lui indiquant que le lait brûle.

De la mixtion se dégage la vapeur. Le sucre fait monter la note arachide. Un bien-être s’empare de moi, gagne ma tête et l’enivre.

J’ai dû sourire à maman sans m’en rendre compte, car elle me sourit.

Quand nos regards se sont croisés, je n’ai pas soutenu le sien. Elle me sait agité par les vapeurs de la bouillie. Des senteurs d’amande, de lait, de miel et de soleil caressent la peau de mon visage comme si quelque puissance migrait de mon ventre vers mon sternum en passant par ma gorge pour s’échapper en sueurs toutes fines par le milieu de mon crâne.

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04/10/2017 64 pages 9,00 €
Scannez le code barre 9782330082284
9782330082284
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