Titus reginam Berenicen statim ab Urbe dimisit invitus invitam.
Aussitôt, Titus éloigna la reine Bérénice de Rome malgré lui et malgré elle.
Suétone, Vie de Titus
Titus n'aimait pas Bérénice
Titus mange goulûment. Il a une faim proportionnelle à l’énergie que lui demande ce moment. Bérénice ne touche pas à son plat. Elle reste immobile, le regard fixé sur son assiette. Puis elle pleure. Il la prend dans ses bras. Elle veut s’en aller, il la retient. Quel monstre suis-je ? dit Titus en essuyant une dernière fois les pleurs de celle qu’il a tant aimée, mais sa décision ne change pas. Titus aime Bérénice et la quitte.
Titus quitte Bérénice pour ne pas quitter Roma, son épouse légitime, la mère de ses enfants. Titus n’aime plus Roma depuis longtemps mais elle est courageuse, vaillante, compréhensive, alors pour ne rien changer, ne rien détruire, Titus s’avance vers Roma et dit, reprends-moi, et Roma, qui ne supporte pas qu’il abandonne ainsi le château de leurs années, le reprend.
Le soir où Titus la quitte, Bérénice ne peut plus se tenir debout. Sitôt rentrée, elle s’allonge. Mais même à l’horizontale, elle se sent encore très longue, très instable. Tout tourne autour d’elle et soudain son estomac se soulève. Mais elle ne parvient pas à vomir. Elle se recouche, et là sa nausée revient de plus loin encore, d’une zone du ventre plus enfouie, plus sourde, qui, d’habitude, ne se manifeste pas, ne gagne pas la surface. Elle ne sait pas encore que le fiel est l’autre nom de la bile mais comprend que les profondeurs du corps et de l’âme se logent au même endroit. L’abandon de Titus, c’est une tache noire sur sa peau. « Adam avant le péché était un diamant, et après le péché il est devenu un charbon », écrit Saint-Cyran, le complice de Cornélius Jansen.
On dit qu’il faut un an pour se remettre d’un chagrin d’amour. On dit aussi des tas d’autres choses dont la banalité finit par émousser la vérité.
C’est comme une maladie, c’est physiologique, il faut que l’organisme se reconstitue.
Un jour, tu ne te souviendras que des bons moments (la chose la plus absurde qu’elle ait entendue).
Tu en ressortiras plus forte.
Tu dis que tu n’aimeras plus jamais mais tu verras.
La vie reprend toujours ses droits.
Etc.
Ces phrases lui arrivent, la recouvrent, la bercent. Pour être tout à fait honnête, elle a besoin de ce babil de convalescence. Toutes ces langues quifont bruire autour d’elle l’empathie, l’universalisme et le pragmatisme lui sont un lit de feuilles où déposer son misérable corps. Et cependant, elle aspire parfois au silence complet, à un cercle de proches au centre duquel elle viendrait s’asseoir, pour qu’on la regarde et qu’on l’écoute sans un mot.
Et puis, un jour, au milieu d’une autre confession que la sienne ou en réponse à la sienne, elle entend, Quel ne fut mon ennui dans l’Orient désert !
La voix est grave, le regard vague, la poitrine mobilisée. C’est touchant et c’est pathétique. C’est singulier et c’est choral, cette voix en appelle une autre qui en appelle une autre, à l’infini. Elle sourit.
Extraits
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