Extrait
Miss Crampon
de Claire Castillon
Le 18/01/2019 à 12:49 - 0 commentaire
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ISBN : 9782081436572
Editeur : Pere Castor
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ISBN : 9782081474284
Editeur : Flammarion jeunesse
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Je me chut : c’est la règle. Ne jamais dire ce que je pense est un principe que j’ai adopté à l’âge de cinq ans quand Camélia, ma belle-mère, m’a demandé si je préférais ses blagues au regard de galgos de ma mère, son mètre dix-huit de jambes au ventre de sharpei de ma mère, ses jurons de boxeur à la poésie vieux rose de ma mère. Et pour conclure, du moins pour ce jour fondateur de notre relation à venir : ses tenues de zumba à la raquette de tennis en bois de ma mère. Raquette vintage, objecterait Camélia, mais elle ferait fausse route. La raquette de ma mère est juste une vieille raquette en bois comme on n’en fait plus, portée par une mère ringarde comme on en fait peu (mais que j’aime plus que tout).
Nous nous rencontrions pour la première fois, Camélia et moi, et j’ai senti, malgré le sourire ravi de mon père qui se félicitait que le courant circule entre nous, qu’il y avait un petit piège dans ses questions. Pas méchant mais posé là, sous ma langue. J’ai poussé un tel oui en réponse à sa demande de réassurance que depuis neuf ans, Camélia, gonflée d’orgueil par mon élan pour elle, se vante auprès de ses amies d’être, loin devant sa mère, la chouchoute de Suz’, sa belle-fille. Bien entendu, ma mère n’est pas au courant de ma trahison. D’ailleurs, elle continue de m’aimer tellement qu’à chaque retour de chez mon père, ma mère me fait l’offrande de quelques vers qu’elle a pondus en mon absence : « Ma Suzine, petite usine, toi le bateau qui vogue droit, tu resteras toujours à moi » ou « Suzine, si fine, sois heureuse même à Villetaneuse ».
Donner mon avis sur sa poésie pourrait porter atteinte à mon confort. Il est invraisemblable de révéler à ma mère combien ses rimes sont nulles, ou à ma belle-mère que son acharnement à rester jeune et à parler comme moi relève du pathologique. Dire à mon père que son eau de Cologne Amber-Tobacco dont il est fier parce qu’il la trouve exclusivement à l’aéroport de Chicago sent le vieux mégot est aussi impossible que d’avouer à Mamita, ma grand-mère, que les papiers à lettre qu’elle m’offre me serviraient à découper des poissons chaque 1er avril si j’avais dix ans de moins, mais ne me serviront jamais à lui écrire des tartines sur ma folle vie d’élève de troisième à présent que j’en ai quatorze. Les gens qui m’entourent ont pour exigence commune d’être aimés plus fort que les autres. Est-ce normal ? Qu’à cela ne tienne, je fais comme si. Je veux que chaque membre de ma famille pense que je l’aime plus que tout. Depuis que mon « petit problème » est quasi résolu, je souhaite m’occuper exclusivement de moi-même. Mes rêves. Mon quotidien. Mon avenir. Pour avoir la paix et que chacun me laisse sur mes rails, j’ai appris à devenir l’incarnation exacte de ce que les gens attendent de moi.
Mon père, par exemple, qui prenait jadis ma mère pour la sienne et confond aujourd’hui ma belle-mère et une baby-sitter, me considère depuis toujours comme une andouille. Il m’a offert une trêve quand j’ai eu mon « petit problème », mais quand même. Alors je joue le jeu. Il m’aime idiote, je fais l’idiote, si bien qu’il m’arrive de me poser la question de la vérité : suis-je cruche à ce point ? Avec Camélia, je me fais plutôt futile-discrète-dissipée. Avec maman, je suis tendre-violente-collante-évaporée. Et avec mes amis, c’est complexe. Ça dépend des périodes.
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