Dans Et après ?, ouvrage publié l’an dernier au titre singulièrement évocateur, Hubert Védrine, a tiré les leçons d’un passé pas si lointain, qui congédie habilement toutes les prospectives incertaines lorsqu’il s’agit d’établir une relation probante entre la réalité la plus cynique et la vision d’un monde révolu, susceptible cependant de nous induire en erreur, au moment de formuler la bonne analyse, celle qui ne se veut ni « angélique », ni « ténébreuse », mais qualifiant plutôt une conduite à tenir, ou à réinventer.
Le 15/03/2021 à 11:24 par Jean-Luc Favre
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Publié le :
15/03/2021 à 11:24
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S’il est un homme politique, qui a durablement marqué la diplomatie française au cours des dernières décennies, on peut citer sans aucun doute, Hubert Védrine. Tour à tour conseiller diplomatique auprès de François Mitterrand, secrétaire général de le Présidence de la République, ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement Jospin, de 1997 à 2002, conseiller d’État et aujourd’hui « consultant international », auteur à ce jour d’une vingtaine d’ouvrages traitant de sujets les plus divers, mais dont l’empreinte personnelle est manifeste lorsqu’il s’agit d’aborder les questions les plus sensibles qui touchent à l’organisation de la planète.
L’ancien chef d’État Jacques Chirac, écrira d’ailleurs de lui dans ses mémoires ; « Ce qui caractérise Hubert Védrine, c’est sa grande finesse d’analyse alliée à une parfaite maîtrise des rouages diplomatiques, la fidélité à des convictions affirmées en même temps qu’une ouverture d’esprit à rebours de tout esprit dogmatique dans sa conception de la politique étrangère française comme dans sa vision du monde, il réussit à concilier l’exigence gaullienne et le pragmatisme mitterrandien. » En clair, un diplomate ouvert et avisé, capable de concilier et d’absorber les contraires sans commettre de faux pas, avec une sagesse apprivoisée presque devenue légendaire - n’en déplaise à ses détracteurs politiques- finalement fort peu nombreux.
Car quoi de plus hasardeux que marcher sur les traces déjà tracées par le général de Gaulle, comme satisfaire à la problématique mitterrandienne en la matière, sachant que les deux hommes n’ont cessé de s’affronter tout au long de leur carrière respective – il n’empêche que tous deux possédaient un sens inné des responsabilités et un « amour » certain pour la République. Une articulation politique dont Hubert Védrine a bien compris la portée, au moment où il devient ministre des Affaires étrangères, dans un contexte politique international particulièrement mouvant.
Pendant des années nous sommes restés sourds face aux alertes annonçant une prudence dévastatrice. Dans le chant des sirènes de la mondialisation, elles étaient littéralement impensables. La propagation rapide de la Covid 19 a sonné brutalement l’heure des comptes. (…) dans la panique sanitaire et économique, la bataille de l’après a déjà commencé entre ceux qui veulent un retour « à la normale » et ceux qui appellent à un changement, relatif au radical. Mais comment pourrait-on revenir « à la normale », c’est-à-dire à la multidépendance, l’insécurité financière, l’irresponsabilité écologique ? La question aujourd’hui est donc de savoir ce qui demeurera et ce qui doit être changé.
En effet toute la question est là et dans la multidépendance assassine, outre la sectoralisation « industrielle pharmaceutique », entre autres, qui constituent l’un des écueils probants. Rien de plus gaullien d’ailleurs que d’aborder les problèmes cruciaux sous cet angle, et qui en amont suppose une « politique diplomatique française », moins dupe des attrape-nigauds de la mondialisation vorace et outrancière, sans pour autant renier certaines de ses conquêtes positives. Dans l’élaboration de la mondialisation visible et invisible tout n’est pas forcément à rejeter.
Le tout est de rester sur ses gardes sans s’enfermer naïvement dans le complotisme d’usage, dont un Nicolas Sarkozy en son temps, au sortir d’une crise financière quasi explosive, avait su décrypter intelligemment le message réducteur et sournois en avouant de manière fort transparente du reste, une nouvelle gouvernance mondiale, dont les grands groupes financiers étaient évidemment les principaux bénéficiaires.
Il n’en fallait pas moins pour que l’auteur revienne à la source de ses argumentations en publiant tout récemment un Dictionnaire amoureux de la géopolitique.
Difficile d’être « amoureux » de la géopolitique ! En fait il s’agit ici d’un dictionnaire libre et subjectif nourri de connaissances historiques. Enrichi par des décennies d’expérience de fonctionnement du monde et des relations entre les puissances installées ou émergentes, le dictionnaire aborde les stratégies des acteurs étatiques, idéologiques culturels et sociétaux. Il traite aussi les scénarios dans les domaines géopolitiques, diplomatiques, économiques, commerciaux et idéologiques, ainsi que la transformation souhaitable, mais difficile de l’Europe, dans un monde où l’Occident a perdu le monopole de la puissance.
Une vaste cartographie diplomatique, à visée transversale avec plus de 250 entrées qui permettent de se faire une idée très précise de « l’ordre du monde » depuis l’avènement des sociétés historiques. Ainsi côtoie-t-on dans ce dictionnaire, toutes celles et ceux qui ont compté dans le devenir de l’humanité, pour ne citer que César, Alexandre Le Grand, Bonaparte, De Gaulle, Staline, Hitler, Mao, Gorbatchev, Jean-Paul II, Kennedy, Obama, Poutine, mais aussi Richelieu , Machiavel, Sun Tzu.
Autant de portraits brefs et lapidaires, mais qui constituent un florilège passionnant de la diplomatie mondiale sur plusieurs siècles, sans pour autant, réduire leur caractère souvent novateur et « émergent » - et à condition toutefois de replacer chaque personnage, dans son contexte historique au gré des époques et des circonstances, avec en arrière-plan l’idée, non dissimulée, d’offrir au lecteur une approche globale de la diplomatie mondiale, aux étapes successives d’élaboration, où chacun puise à sa guise son propre besoin d’informations et de connaissances.
Ici la chronologie semble secondaire. Des termes, et des expressions également, (Altermondialiste, Accords de Bretton Woods, Brexit, Chinamérica, Concert européen, Diasporas, Dissuasion, Ecologisation, Génocides, Réunification allemande etc.) qui se veulent complémentariser un vocabulaire souvent précis, éducationnel en somme, et autrement autonome, mais qui caractérise chaque étape du monde dans sa formalisation constructive ou déconstructive, permettant d’interpréter adroitement le sens réel de l’histoire, avec aussi ses discordances, et ses fragmentations, qui elles n’ont rien de passablement linéaires ; s’ajoutant les unes aux autres à la manière d’un puzzle intelligent.
Il s’agit ainsi de bien comprendre ou appréhender, le jeu d’un monde en constante mutation au travers de ses nombreux filtres d’insertion et d’interprétation. Au total 528 pages éclairantes, qui permettent au lecteur de mieux cerner la géopolitique internationale, en la rendant en quelque sorte, plus populaire et moins abstraite pour le commun des mortels.
Et après ? - Fayard - 9782213717586 - 12 €
Dictionnaire amoureux de la géopolitique - Co ed Plon / Fayard - 9782259263337 - 26 euros
Paru le 24/06/2020
144 pages
Fayard
12,00 €
Paru le 11/02/2021
528 pages
Plon
27,00 €
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Liger
18/03/2021 à 10:56
Hubert Védrine est un des rares hommes politiques français a avoir l'envergure d'un chef d'État : depuis Pompidou, aucun Président - y compris François Mitterrand et Jacques Chirac - n'a été à ce niveau. Loin de tout pathos ou des grandes envolées creuses, les analyses d'Hubert Védrine sont effectuées avec un réalisme et une lucidité fins et implacables du niveau du meilleur Talleyrand.