Brandon Mull nous avait accordé la semaine passée un entretien, dans lequel il nous racontait ses liens avec les mondes de la fantasy. « Ce qui est superbe, avec la fantasy, c'est que l'on peut explorer plusieurs mondes possibles, tous différents. Chacun présente des défis particuliers et des opportunités quand on est conteur. » Au travers d'Animal Tatoo, il a en effet décidé de rapprocher des enfants d'animaux fétiches, sur une terre baptisée Erdas : un loup, une panthère, un panda et un faucon. Une évidence ? Pas tant que cela.
Les quatre personnages de Brandon Mull, et leurs animaux fétiches
L'idée d'associer un animal à un être humain se retrouve principalement dans les cultures amérindiennes, mais l'animal-totem peut également avoir de forts enracinements dans les cultures africaines, et même en Europe. Il semblerait d'ailleurs que l'une de ces traces les plus manifestes soit celle du Chat botté, qui ferait référence directement à une époque de croyances où animaux et humains allaient de pair. En fait, l'animal est bien une créature qui sert tout à la fois d'initiateur, de guide, mais également de protecteur. Sur ce point, cela dit, le livre de Philippe Descola, Par-delà nature et culture apportera au lecteur des références plus pointues.
Brandon Mull associe chacun des enfants à des animaux qui ont un certain écho avec l'enfance – on peut facilement songer au côté grosse peluche du panda, ou encore à la noblesse toute féline de la panthère. Sans verser dans une analyse des animaux, d'autant plus que Mull ne leur attribue pas nécessairement les vertus que l'on trouve traditionnellement, les différents animaux sont porteurs de sens spécifiques.
Animaux et enfants, duo idéal
Difficile de ne pas considérer le faucon comme un messager, mais également un chasseur de premier ordre, et bien entendu, un fin observateur – ainsi, Clairvoyante, le nom de l'animal totem de Rollan fait encore un peu plus sens. Le loup, Briggan (fameuse homophonie avec le français...), qui accompagne Conor emprunte plus des qualités attribuées aux chiens, dans la fidélité et l'affection, mais c'est également une créature qui vit en communauté, avec une certaine solitude. Le paradoxe est fameux. Et puis, si l'on dit rusé comme un renard, ici, rusé comme Briggan aurait tout son sens.
Abéké est accompagnée d'Uzara, une panthère femelle qui ne reflète pas d'agressivité intempestive. Peut-être plutôt de la méfiance et de la passion. Surtout que, telle que Brandon la dépeint, la panthère est plus facilement assimilée au léopard : habileté, finesse et en permanence une recherche d'équilibre. Quant au couple Meilin et Jhi, son panda femelle, c'est un sentiment de puissance, et de force tranquille qui se dégage. C'est pourtant une dimension spirituelle, et de détermination, qui en émane – et accompagne finalement bien cette association.
Outre la dimension formatrice permanente du livre, cette association d'enfants avec des animaux totems exprime bien la relation de réciprocité que l'on retrouve traditionnellement : une symbiose, où chacun puise un véritable équilibre. Autant l'enfant va attendre de son animal un enseignement et une protection, autant l'animal-fétiche sera un compagnon que l'on doit apprendre à respecter. C'est toute la relation à l'autre qui est présentée avec intelligence dans le livre.
Après tout, l'histoire du totémisme proviendrait d'une forme de transmigration des âmes, et d'un changement pour l'homme impliquant le passage de l'animalité, à celui de l'humanité.
La fusion identificatoire du totémisme
Nous avons sollicité Florence Brunois, ethnologue et chercheuse au CNRS au Laboratoire d'Anthropologie sociale du Collège de France, pour approfondir ces questions, avec un regard scientifique. C'est que l'on emploierait peut-être hâtivement le mot totémisme, là où l'on parlerait plutôt d'animisme. « Il existe un modèle de fusion identificatoire dans le totémisme, qui implique une relation au sein même de la caste : on ne pourra pas se marier avec une personne qui est liée au même animal totem, par exemple. C'est une véritable manière d'organiser le monde, qui fixe des implications sociales fondamentales. »
Peut-être, effectivement, parlerait-on plus d'animisme avec Animal Tatoo, puisque l'on entre dans un processus de lien et d'identification. « Cette relation au totem, dans l'animisme, va intervenir comme un régulateur dans les relations aux humains. On basculerait alors dans une approche chamanique, puisque l'animal intervient comme un guide. » Et d'évoquer alors la société papoue, qu'elle observe depuis de nombreuses années. « Chez eux, la société suscite l'attachement tout particulier des enfants aux animaux. Ils sont incités à s'identifier bien plus au monde animal qu'à celui des humains. »
popofatticus, CC BY 2.0
En effet, par cette compréhension éthologique, les enfants vont accéder à une connaissance propre de leur environnement, obligatoirement écologique, qui leur conférera dans le monde réel, autant que dans le monde des rêves, des armes indispensables. Considérant que l'enfant peut en effet entrer en relation, par les rêves avec des esprits, il sera mieux armé en sachant développer les caractéristiques de certains animaux, en fonction des situations qu'il vivra.
Le panda, ce "nounours" attendrissant, "véritable extraterrestre"
Quant aux animaux du livre de Brandon, Florence Brunois y voit bien plus de choses qui s'adresseront directement aux lecteurs. Le loup, en Europe et plus spécifiquement en France, incarne l'animal prédateur exterminé, et que l'on a ramené, par l'Italie. Mais qui est aujourd'hui entré dans une relation étrange. « Les moutons sont devenus sur-protégés, donc idiots, et les humains n'ont pas le droit de redevenir prédateurs du loup. C'est typiquement un cas raté, dans la tentative de réintroduire une relation au sein de l'écosystème. »
Le panda incarnerait plutôt « le naturalisme par excellence ». Symbole adopté par le WWF, il est devenu le logo que « l'Homme a choisi pour affirmer sa légitimité à conserver certaines espèces, contre l'Homme ». Non que le combat de l'association soit remis en cause, mais il profite de l'image attachante de l'animal. « On s'attendrit si facilement sur un nounours qui n'est même pas carnivore. Pour l'enfant occidental, cet animal est une splendeur, dans sa lenteur, son regard fixe et qui passe ses journées à mâchouiller... » Elle n'hésite pas à parler « de véritable extraterrestre dans le monde animal, ne serait-ce qu'à cause de ses pouces. Certaines tribus avaient interdiction, quand elles partaient chasser, de le regarder, pour ne pas se laisser attendrir. On leur imposait une distanciation immédiate ».
Le faucon, à l'image du loup, représente un prédateur, mais avec une polyvalence enviable. « Il est tout à la fois fait de plume, chasseur, aux serres redoutables, capable de voler, donc de s'élever, et se place comme l'Homme, au sommet de la chaîne alimentaire. » Et la panthère, elle, laisse quelque peu rêveur. « C'est en même temps Mowgli [dans le livre de la Jungle] et un redoutable félin. Une créature magnifique et dangereuse. Oui. Magnifique. »
Et vous, quel serait votre animal-totem ?
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