Comme bon nombre de ses confrères, les éditions Nimrod, administrées par François de Saint-Exupéry n’ont pas apprécié de retrouver leurs livres revendus sur internet. Sur PriceMinister, l’éditeur découvre plusieurs ouvrages, envoyés en service de presse à des journalistes, revendus sans vergogne. La maison, spécialisée dans les biographies, les thrillers et romans militaires a donc déterré la hache de guerre.
Le 27/05/2016 à 17:17 par Nicolas Gary
Publié le :
27/05/2016 à 17:17
(ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
Le principe est simple : les critiques littéraires reçoivent des livres quelques semaines avant leur parution officielle. De la sorte, les maisons peuvent attendre dans la presse des chroniques, coïncidant, ou amorçant la mise en vente. Sauf que les livres peuvent également finir sur les pages de sites internet – aussi bien que dans des librairies d’occasion, voire des enseignes avec pignon sur rue.
Dans le cas de PriceMinister, cette approche est d’ailleurs une véritable marque de fabrique : chaque année, l’enseigne communique amplement sur la revente de cadeaux de Noël indésirables. Et la société y va de son communiqué pour expliquer que le livre est le produit culturel le plus revendu...
Du côté des instances officielles, ces pratiques sont considérées comme des infractions à la Loi Lang – du moins à son esprit. Retrouver des livres vendus Comme neuf, ou Neuf à partir de X €, va à l’encontre du prix unique fixé par l’éditeur. Et qui concerne justement les livres neufs. Depuis plusieurs années, le Syndicat national de l’édition se plaint de cet état de fait – et le sujet a beaucoup avancé. Nous avons sollicité le SNE, et reviendrons dans un prochain article sur ce point.
En France, l’éditeur fixe le prix de vente des livres qu’il publie, avec interdiction pour le revendeur de pratiquer une remise – c’est le système de la loi sur le prix unique. Or, les éditions Nimrod « ont été confrontées à ce phénomène récemment, avec la parution d’un ouvrage début janvier dont quelques exemplaires avaient été envoyés en service de presse à différents journalistes ». Et voici donc qu’au jour officiel de mise en vente, les ouvrages se retrouvaient « en vente sur PriceMinister avec une remise allant de 20 à 30 % du prix public».
Cela pourrait n’être qu’une comédie pathétique si les volumes en jeu restaient dérisoires. Cependant, avec plus de 60.000 ouvrages « jamais lus, jamais feuilletés, état neuf » qui ont été vendus à des prix bradés ces derniers mois ou ces dernières années sur le seul site PriceMinister, sans que personne ne réagisse, cette comédie pathétique prend l’allure d’une escroquerie à grande échelle. Et comme dans toute escroquerie, il y a de véritables professionnels de la chose !
Certains des vendeurs qu’il a ainsi repérés avaient réalisé plus de 10.000 ventes, avec 500 produits – livres et DVD. « Évidemment, même si personne n’en parle, tous ceux qui travaillent dans des supports de presse ne sont pas toujours très honnêtes ou n’ont pas toujours une très grande éthique... Mais ce n’est pas parce que les autres n’osent rien dire qu’il faut se laisser faire », assure l’éditeur.
Dans deux documents que la maison nous a fait parvenir, on retrouve des listes impressionnantes d’ouvrages commercialisés avec des mentions aussi variées que manquant d’imagination : « Livre parfaitement neuf, jamais feuilleté, sans défaut, avec bandeau éditeur », « Livre neuf, jamais ouvert », « Livre neuf, jamais ouvert ni feuilleté » ou encore « Livre NEUF, non ouvert, non lu, idéal pour offrir ou pour lire ».
Autant de mentions qui entrent en conflit avec ce que projette la loi Lang. «Certaines descriptions de livres sont assez pathétiques, par exemple : “livre neuf jamais ouvert. Attention, il manque la page 3 (le titre)”, signifie que l’éditeur a arraché une page du livre pour empêcher sa revente, ce qui n’empêche rien du tout », nous explique François de Saint-Exupéry.
Ou encore « la mention “Livre neuf jamais ouvert Légérement abîmé en bas de la tranche” ou celle en dernière page “exemplaire gratuit, ne peut être vendu”, signifie que l’éditeur a expressément interdit la revente de ce SP à l’aide d’un coup de tampon, ce qui, à nouveau, n’empêche rien du tout».
« Nous avons alerté le syndicat national de l’édition et le syndicat de la librairie française, mais ils ont visiblement d’autres chats à fouetter », confirme-t-il. De fait, un courrier adressé conjointement SLF et au SNE voilà deux semaines est resté... lettre morte. Il y évoque « des pratiques douteuses qui portent préjudice aux éditeurs et aux libraires, en violation flagrante de la loi sur le prix unique du livre, et contre lesquelles il conviendrait sans doute d’apporter une action collective plutôt qu’une action individuelle comme celle que j’ai pu entreprendre récemment ».
Mais alors que le SNE a un gros dossier ouvert sur le sujet, le silence devient gênant : « J’avoue ne pas comprendre le manque de réactivité des éditeurs sur ce dossier. Je n’ai eu que trois exemplaires d’un même livre concernés, mais cela m’a suffi pour faire fermer deux boutiques peu honnêtes...»
L’éditeur s’est d’ailleurs efforcé de référencer une vingtaine de vendeurs spécialisés dans la vente à prix bradés de livres neufs, jamais lus. PriceMinister permet, à travers l’historique des vendeurs, de définir le nombre de produits vendus et les stocks disponibles. Le reste ne fut qu’un peu de temps passé sur le site. «En somme plus de 20.000 ouvrages sont en stock, avec une cinquantaine de vendeurs et plus de 150.000 exemplaires ont été vendus – dont 56.000 sur lesquels pèsent de fortes présomptions. »
Et si PriceMinister devient la première cible, c’est avant tout parce qu’il « représente une extrême facilité d’utilisation : les gens n’ont plus besoin de se rendre chez Gibert ni chez un bouquiniste. D’ailleurs, aujourd’hui, Gibert ne pèse pas grand-chose face à internet... ». À ce titre, si la pratique de la revente est aisée, elle ne coûte qu’une commission sur la vente, pour qui souhaiterait ouvrir sa « boutique ». A contrario, Amazon impose un coût de création pour un service comparable.
L'éditeur exhorte dès lors les grandes maisons à se bouger pour faire en sorte que la pratique cesse :
Nous incitons donc les éditeurs concernés, mais surtout les associations professionnelles telles que le Syndicat de la librairie française et le Syndicat national de l’édition à se coordonner pour déposer plainte pour « infraction à la loi sur le prix unique du livre » contre les plus importants pourvoyeurs de « livres neufs, jamais lus, jamais feuilletés » tels qu’ils figurent dans le tableau précédent.
Des investigations seraient alors lancées qui auraient le mérite d’éclairer la profession sur ces personnes qui arrivent à vendre de manière récurrente plusieurs milliers de livres neufs, jamais lus, jamais feuilletés en parfaite infraction à la loi sur le prix unique du livre et dont l’activité est dommageable pour les éditeurs, les auteurs et les journalistes animés d’une véritable éthique.
Par ailleurs, des partenariats pourraient être conclus avec des associations de promotion de la lecture ou avec des bibliothèques d’établissements pénitentiaires (par exemple) pour faire en sorte que les envois presse voués à l’oubli entament une seconde vie, via un système de collecte, au service d’une cause honorable plutôt que pour les seuls intérêts financiers de quelques margoulins pathétiques et pitoyables [...]
Mais la conclustion est plutôt amère : « Ils sont sans doute trop occupés à courir après les subventions... », lance-t-il. De même, les maisons doivent rationaliser leurs pratiques d’envois d’ouvrages à la presse. Le démarchage hasardeux, ou les envois multiples dans les rédactions favorisent bien entendu cette revente. « Personnellement, je n’envoie jamais plus de 40 titres en service de presse. Mes livres touchent à des sujets très spécifiques : il m’est plus facile de savoir quels sont les journalistes intéressés. »
Mais il reconnaît également que, « dans n’importe quelle rédaction où l’on se rendra, on trouve des tonnes de livres qui traînent sur les bureaux. Ils ne peuvent pas tout lire ». La plainte a été enregistrée au Parquet début mai, déposée par Me Olivier Baratelli.
Le paradoxe ne manquera pas de sel ni de harissa : après plusieurs mois de discussions et de négociations, les éditeurs et le groupe La Poste sont parvenus à trouver un terrain d’entente. En effet, La Poste avait augmenté ses tarifs au 1er janvier 2015, et les maisons se retrouvaient à payer bien plus cher leurs envois de service de presse. Dès lors que le pli mesurait plus de 3 cm de hauteur, le coût pouvait être multiplié par trois.
La mise en place du service Frequenceo Editeurs, offre spécifique de La Poste, est réservée aux éditeurs pour l’envoi « de livres gratuits avec ISBN à destination des leaders d’opinion ». Des frais d’expédition moins onéreux, donc, mais qui, finalement, entraînent des frais juridiques inattendus...
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