En mai 2016, Renaud et Tom François publient un livre relatant leur incroyable parcours. Tous deux sont partis trois mois durant au Kirghizstan, pour une traversée à cheval, dernière solution d’un père pour renouer avec son fils. Et l’histoire a fait des heureux.
Le 30/09/2016 à 12:25 par Nicolas Gary
Publié le :
30/09/2016 à 12:25
Laurent Mauvignier - ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Ce voyage devait être, nous raconte l’auteur-père, celui de retrouvailles. « Depuis deux ans, mon fils avait des problèmes de décrochage scolaire, il a été arrêté, était pris dans des affaires de drogues. J’ai décidé de le sortir de l’école. » Le voyage pour le Kirghizstan se profile. « Partir à cheval ensemble, c’était pour apprendre à nous connaître, une sorte de sauvetage familial, pour lui comme pour moi-même. »
À leur retour, la journaliste du Monde Pascale Krémer leur consacre un long article, très consulté, La chevauchée initiatique. « Nous avons rencontré un éditeur, Kero, qui a publié notre livre [NdR : coécrit avec Denis Labayle], qui a été publié en mai dernier. En découvrant le livre de Laurent Mauvignier, j’ai eu l’impression d’un viol, que l’on s’emparait de notre histoire, qu’un romancier se l’appropriait. »
Avec la nomination du livre de Mauvignier, Continuer (Éditions de Minuit), dans la liste du Goncourt, les articles dans la presse fleurissent. « Et personne ne relève que c’est de l’histoire de mon fils et de moi dont il s’agit », déplore Renaud François.
À l’occasion d’une rencontre qu’organisait le réseau de librairies Librest, le 1er septembre, Laurent Mauvignier fut d’ailleurs interrogé par Renaud François. « J’aurais trouvé délicat et honnête vis-à-vis de vos lecteurs que vous soyez clair, par rapport à votre inspiration. Parce qu’il y a une grosse partie de notre histoire qui vous a inspiré », soulignait alors Renaud François.
Réponse alors du romancier : « L’inspiration, elle vient de ce que j’ai lu dans Le Monde, effectivement. Après... je crois l’avoir dit [réaction dans la salle qui confirme]. » En revanche, il n’avait pas connaissance du livre Dans les pas de mon fils. En exergue de son roman, on peut en effet lire : « L’idée de ce roman est venue de la lecture d’un article du Monde, en août 2014. »
« Pour moi... aucun problème avec cette question-là, je suis même content qu’on en parle », continue Mauvignier. « Ce n’est pas la première fois que j’écris un livre à partir d’une histoire qui a existé. Je m’inspire beaucoup, comme plein d’écrivains, souvent de choses que je lis dans la presse. Je ne suis pas un écrivain à imagination, je suis un écrivain qui va prendre des choses dans le réel. [...] Ce que j’essaye d’en faire moi, ce n’est pas une question de s’approprier l’histoire des gens [...] à partir de quelque chose qui me touche, faire vibrer mes propres histoires à moi, avec mes propres personnages. Il ne s’agit évidemment pas de me substituer à l’histoire des uns et des autres. Vous avez fait votre livre, c’est très bien, mais, moi, j’ai fait autre chose avec ça. »
Toutefois, Renaud François insiste : « Mais les deux histoires sont très très proches. » Réponse de Mauvignier : « Peut-être... et vous savez, en même temps, sur la question de l’adolescence et du parent [...] des histoires, il n’y en a pas une infinité non plus. Plein de choses se retrouvent forcément : quand on se pose la question d’aller faire un trek comme ça, qu’est-ce qui peut se passer ? [...] On va rencontrer tel type de gens, tel type d’histoire. Évidemment, les éléments peuvent se retrouver, je ne dis pas le contraire. »
Et le romancier de s’interroger : « Comment une matière qui peut appartenir à tout le monde, la singulariser par l’écriture, comme au cinéma par exemple. Certaines scènes que l’on a vues 20.000 fois, et, pourtant, la façon dont le réalisateur va s’en emparer fait qu’à la fin, on n’aura pas la même chose. Pour moi, c’est ça, la question. »
Sollicité par ActuaLitté, Philippe Robinet, PDG des Éditions Kero, se souvient du livre de François Renaud, « comme d’un récit touchant, une très belle aventure qui mérite d’être connue, parce qu’elle sort des normes ». Lui-même avait eu connaissance de l’article du Monde : « Ce qui est troublant, et émouvant, c'est qu'à ma connaissance c’est la première fois un même article suscite deux livres, un témoignage et un roman. Et qui sont deux récits distincts dans leur forme, autant que leur narration. »
Au demeurant, « Laurent Mauvignier reste un formidable écrivain. Qu’il s’inspire de l’article n’indique qu’une chose : il serait passionnant que les deux auteurs puissent désormais se rencontrer, parce que leurs visions se rejoignent. On verrait alors comment chacun a appréhendé cette histoire, l'un pour en témoigner, l'autre pour lui donner une nouvelle dimension ».
Le droit des écrivains à faire des œuvres littéraires à partir de faits divers ou de témoignage est pourtant toujours délicat. « Je comprends que Renaud François ait le sentiment que l’on s’approprie l’aventure qu’il a vécue avec son fils. Mais cette histoire a su toucher – nous avons d’ailleurs des contacts avec des cinéastes qu’elle intéresse. En réalité, on devrait saluer l’article fantastique que Pascale Kremer a fait paraître. C’est ce papier qui finalement a généré la nécessité de deux œuvres, l'une documentaire et l'autre, romanesque. »
Aux Éditions de Minuit, Irène Lindon le confirme : « Ce sont deux œuvres totalement distinctes. D’un côté, le documentaire de M. Renaud, de l’autre le roman de Laurent [Mauvignier]. » Et Continuer était de toute manière achevé en janvier 2016 : « Jamais Laurent n’a pu prendre connaissance du livre. Ce qui l’a marqué, profondément, c’est la lecture de cet article du Monde, qui d’ailleurs ne citait que les prénoms du père et du fils. À cet instant, il nous a dit qu’il souhaitait écrire son prochain roman, mais, sincèrement, ces deux livres n’ont aucun rapport. »
Et la directrice de la maison de poursuivre : « L’image du Kirghizstan avait interpellé Laurent Mauvignier pour l’écriture. Bien entendu, il ne s’y est pas rendu, mais a effectué de nombreuses recherches. Les choses communes, ce sont évidemment les conditions de vie, le climat, les chevaux et les montagnes... Son roman ne se centre pas sur les problèmes d’une enfance difficile. Pour lui, ce point de départ, le pays étranger, la situation familiale donne avant tout lieu à un portrait de femme. L’existence de Sibylle fut presque anéantie par la mort de l’homme qu’elle aimait, au cours des attentats de 95. »
Elle rappelle aussi que le livre Ce que j’appelle l’oubli [paru en 2011 chez Minuit, NdR]partait également d’un fait divers. « Marguerite Duras, dans le temps, cherchait aussi ses histoires dans ces faits d’actualité. Il faut bien trouver un début à son histoire. Eric Chevillard s’était inspiré d’un conte de Grimm pour son Vaillant petit tailleur [sorti en 2003], comme Amélie Nothomb pour cette rentrée. »
Après tout, un certain Roland Barthes soulignait déjà : « [...] il est vrai que le fait divers est littérature, même si cette littérature est réputée mauvaise. » Et les exemples de romans y ayant puisé leur origine sont légion – un certain Stendhal, pour ne citer que lui, avec son Rouge et le noir avait suivi un procès qui se déroulait en 1827 à Grenoble. Lequel s’est conclu par la décapitation de l’accusé.
Au fil des ans, nombre d’écrivains furent toutefois poursuivis – souvent pour diffamation – pour avoir profité de ces sources d’inspiration. La pure fiction existe-t-elle ? Non point. Probablement Laurent Mauvignier aurait pu être plus explicite quant aux origines de son roman – un effort de transparence ?
Quant à invoquer une contrefaçon, « c'est impensable, les textes n'ont rien de commun », souligne Philippe Robinet. Mais cette histoire de père et fils chez l’un, de mère et fils chez l’autre perdrait alors toute sa profondeur – toute l’humanité qui lui donne, en témoignage ou en récit, sa pleine légitimité à apporter de l’espoir.
D’ailleurs, cette rentrée littéraire a quelque chose de vraiment inspiré par l’actualité. Nombre de romans partent de ces faits divers relatés dans la presse à échelle plus ou moins récente. Que ce soit Emma Cline ou Simon Liberati, qui raconte la famille Manson, particulièrement sanguinaire, François Bégaudeau avec Molécules ou encore Harold Cobert qui revient sur l’affaire de l’Ogre des Ardennes.
Des histoires sombres, criminelles, loin de celle de François Renaud et son fils. Reprochera-t-on réellement à un romancier de préférer la rédemption à la sauvagerie ? Un manque de délicatesse, peut-être, mais c’est autre chose...
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