Directrice de recherches au CNRS, spécialiste de la Russie, Francine Dominique Liechtenhan brosse un portrait passionnant de Catherine II de Russie, publié chez Perrin.
Celle que nous appelons maintenant La Grande Catherine a réussi en un peu plus de trente-quatre ans de règne à repousser les frontières de son empire, à augmenter le nombre des villes et villages émaillant son territoire, à développer les voies fluviales et canaux, mais « un des plus grands succès du règne fut l’amélioration du système médical par la construction d’hôpitaux, de pharmacies, d’orphelinats et de fabriques d’instruments chirurgicaux ». Elle souhaitera également améliorer l’administration de son empire sans y parvenir, il faut dire que la tâche était malaisée si nous considérons les différences régionales, ethniques et religieuses présentes en Russie.
Cette étrangère, née en Pologne, de confession luthérienne — avant sa conversion à l’orthodoxie — fut probablement une des figures politiques les plus marquantes de l’époque moderne même si beaucoup ne retiennent, aujourd’hui, que ses nombreux amants comme aiment à nous le rappeler nombre de romans, pièces de théâtre et films.
La rédaction de ce livre doit beaucoup aux archives apostoliques du Vatican, « jadis Archives secrètes » ; à des documents d’époque ; aux écrits de la souveraine et à sa grande correspondance, la faisant entrer dans l’histoire comme une des plus grandes épistolières du XVIIIe siècle.
Enfant surdouée et curieuse de tout, surtout de philosophie et de littérature, elle sera, comme c’était souvent le cas à l’époque, fiancée très jeune à Pierre, neveu de la tsarine Élisabeth. Pierre Fiodorovitch était le petit-fils de Pierre le Grand et à ce titre un héritier tout trouvé pour l’impératrice qui n’avait pas d’enfant.
Une fois fiancée, la vie de Catherine à la cour ne fut pas passionnante. Elle qui aura besoin toute sa vie durant d’émulation intellectuelle s’y ennuyait ferme. Son mari ne comblait pas ses aspirations, elle « supportait stoïquement les sautes d’humeur de son époux et ses agressions ; elle feignit même de ne pas voir le ballet de ses maîtresses ». Quant à ses relations avec Élisabeth, elles allaient vite se dégrader.
Après deux ans de mariage, toujours pas de grossesse en vue, ce qui fragilisait le statut de Catherine. Celle-ci finit également par aller voir ailleurs et prit comme premier amant le chambellan Sergei Saltykov. Dans le même temps, Pierre subissait une opération lui permettant enfin de procréer. Info ou intox afin de légitimer la naissance du petit Paul ? « Catherine ne savait sans doute pas qui était le géniteur et elle en profita pour semer le doute sur le père comme sur le fils, afin une fois de plus de justifier sa position à la tête de l’État russe et d’écarter si nécessaire Paul, le bâtard, de la succession. » Néanmoins, cette naissance améliora les relations du couple, chacun s’autorisant des libertés. Mais cette belle harmonie n’allait pas durer.
Le 9 décembre 1757, Catherine accoucha d’une petite fille et cette fois nul doute sur la paternité, il s’agissait d’un envoyé de Pologne, un dénommé Stanislas Poniatowski. Pierre feindra la colère, car cette naissance lui donnait un magnifique argument pour répudier sa femme et épouser celle dont il était désormais follement amoureux : Élisabeth Vorentsova. L’impératrice Élisabeth étant malade, Catherine allait devoir réagir et vite afin de se créer un cercle de fidèles.
Tout se précipita à la mort de la tsarine le 25 décembre 1761 : « Les frontières furent aussitôt fermées et les missives diplomatiques durent transiter clandestinement par la Finlande et la Suède. » Pierre devient aussitôt Pierre III et Catherine, l’impératrice consort, se relevait difficilement de nouvelles couches adultérines. Un duel devait se jouer, tout était une question de rapidité.
« La chute de Pierre III relevait-elle de la seule responsabilité de Catherine ou résultait-elle d’un complot d’une oligarchie aspirant à s’emparer des rênes du gouvernement ? » Nous sommes tentés de dire les deux et « pris au piège, il [Pierre] accepta de rédiger un manifeste où il renonçait au trône. » Il décédera peu de temps après. Personne ne sait ni comment, ni de quoi… Une idée ?
Pierre III avait longtemps reporté son couronnement, Catherine ne fera pas la même erreur. Il faut dire qu’après cette prise de pouvoir, cette étrangère devait absolument asseoir sa légitimité. Ainsi, « quatre jours après son coup d’État, elle ordonna de préparer cet événement pour le 5 septembre 1762 ». Cet avènement allait nécessiter de très nombreux déplacements et son fils Paul l’accompagnerait partout. Non pas parce qu’elle était attachée à lui, mais parce qu’il représentait la filiation avec les Romanov.
Si les aristocrates pensaient leur heure venue, ils furent vite déçus. Catherine entendait bien gouverner seule. Elle n’oublierait certes pas ceux qui l’avaient aidé à accéder au trône, et ils se chargeront de le lui rappeler de temps à autre, mais « à l’en suivre, le bien d’un empire dépendait de l’autocratie dont le principe résidait dans une maxime simple : la gloire de son pays relevait de la sienne ».
Lire les philosophes des Lumières et être amie avec bon nombre d’entre eux ne signifiait pas mettre en place une monarchie constituante. Néanmoins, elle essaya, en s’inspirant de L’Esprit des lois de Montesquieu, de rédiger un ouvrage, maintes fois remanié, et qui était destiné à servir de cadre législatif, juridique et philosophique à la Russie. L’Instruction ne fut finalement qu’« un ouvrage publicitaire destiné à l’étranger ». Celle qui, au début de son règne, voulait mettre les Lumières à l’honneur fut vite « dépassée par son objectif de répandre les Lumières dans son pays. Une force indépendante, intellectuelle et critique avait surgi et était devenue incontrôlable. »
Outre contre ses propres idées, elle devra se battre contre de faux « Pierre III » ; contre les puissances étrangères, dont les Ottomans ; contre la peste ; les émeutes en tout genre ; les idées nouvelles issues de la Révolution française, etc.
Afin de garder la main sur son pays, elle le transforma en pays policier où les libertés individuelles n’étaient plus que de vains mots. Cette femme qui avait impressionné par son contrôle d’elle-même et son opiniâtreté, régnait, à la fin de sa vie « par l’intimidation et la peur ».
Catherine II – Le courage triomphant de Francine-Dominique Liechtenhan est autant une biographie fascinante qu’un livre de géopolitique des États de l’Est et du Nord de l’Europe du XVIIIe siècle. Géopolitique qu’il nous faut connaître et comprendre, pour avoir une vision globale de l’Histoire.
Paru le 18/03/2021
474 pages
Librairie Académique Perrin
24,00 €
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