À mon père.
À ma mère.
« Pour l'essentiel, l'homme est ce qu'il cache : un misérable petit tas de secrets. »
André Malraux,
Les Noyers de l'Altenburg.
Note de l'auteur
Maurice Sachs de son vrai nom Maurice Ettinghausen est un écrivain né en 1906. Lettré, spirituel, fêtard et dissolu, il parvient, au cours des années vingt, à séduire bon nombre d'artistes et de mondains de l'époque. Certains, à l'instar de Jean Cocteau ou Max Jacob, lui témoignent une amitié sincère. Mais Maurice Sachs, l'amoral par excellence, sait aussi bien susciter l'enthousiasme que le désenchantement. Alors qu'il prétend aimer ses amis plus que tout au monde, chacun d'eux aura droit à sa part de spoliation, de trahison et de bassesse. Le plus étrange, c'est que Maurice Sachs ne ment pas sur ses sentiments mais ne peut s'empêcher de tendre vers l'escroquerie et la vilenie. L'homme est un paradoxe vivant : juif, il se convertit deux fois et devient collabo ; homosexuel, il se marie ; écrivain dans l'âme, il s'interdit longtemps d'écrire. Fin 1942, ayant épuisé l'ensemble de ses trafics et la patience de ses amis, il s'engage au S.T.O. à Hambourg, et ne tarde pas à proposer ses services à la Gestapo. Mais la Gestapo est à son tour lassée par les prises de libertés et les mensonges de cet olibrius dont elle n'a jamais apprécié les manières. En novembre 1943, il rejoint au Fuhlsbüttel Concentration Camp les prisonniers qu'il avait concouru à y envoyer. En 1945, les troupes Anglaises s'approchent de Hambourg. Le camp est vidé de ses prisonniers. Le groupe dans lequel se trouve Maurice Sachs doit avancer vers le nord avant d'y être libéré. Mais le 14 avril 1945, épuisé par trois jours de marche, Maurice Sachs se laisse choir sur la route et refuse de continuer. Un S.S. l'abat d'une balle dans la nuque. Il a trente-huit ans. Sa mère qui ne l'a jamais aimé et qu'il a rarement vue se précipite de Londres à Paris pour faire publier ses œuvres et encaisser ses droits d'auteur.
Maman,
On dit que les temps changent. C'est faux, ils se déguisent. On les retrouve alors qu'on pensait s'en être débarrassé pour de bon. Ils sont comme nous, toujours à se sentir obligés de faire des promesses qu'ils ne tiendront pas parce qu'elles sont intenables.
Jacques Bizet m'avait prévenu que ça finirait mal. À son insu, il en était la preuve éclatante et cynique. À lui seul, il incarnait le funeste destin de l'humanité. Pourtant, il avait l'air d'une exception, drapé dans l'étendard de sa folie suicidaire. Son dandysme et son obsession esthétique ne pouvaient faire l'impasse sur le mal, la perversion, la mort. Il y avait eu la génétique – il était le fils de Georges – puis le goût pour la posture. La convergence des deux lui fut fatale.
Jacques fut mon premier coup de foudre, je l'aimais ardemment, avec soumission, je n'ai jamais su aimer autrement. Je l'aurais pris pour père s'il avait voulu de moi. Mais il ne voulait de rien ni de personne. À commencer par l'existence qu'il ne pouvait plus voir en peinture. Je le prenais donc pour un maudit, inapte à éprouver la joie d'être au monde, prêt à devancer le pire, le canon de son pistolet calé au fond de sa gorge. Mais en réalité, il était juste une exagération. Il suffisait de regarder et de comprendre. Ça finit toujours mal, et pour tout le monde. Cette évidence aurait dû me sauter aux yeux à un moment. Mais j'avais sans doute trouvé un moyen de l'amadouer, de la séduire. Séduire, j'ai toujours su faire…
Extraits
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