#Roman étranger

Les fantômes du vieux pays

Nathan Hill

Scandale aux Etats-Unis : le gouverneur Packer, candidat à la présidentielle, a été agressé en public. Son assaillante est une femme d'âge mûr : Faye Andresen-Anderson. Les médias s'emparent de son histoire et la surnomment Calamity Packer. Seul Samuel Anderson, professeur d'anglais à l'Université de Chicago, passe à côté du fait divers, tout occupé qu'il est à jouer en ligne au Monde d'Elfscape. Pourtant, Calamity Packer n'est autre que sa mère, qui l'a abandonné à l'âge de onze ans. Et voilà que l'éditeur de Samuel, qui lui avait versé une avance rondelette pour un roman qu'il n'a jamais écrit, menace de le poursuivre en justice. En désespoir de cause, le jeune homme lui propose un nouveau projet : un livre révélation sur sa mère qui la réduira en miettes. Samuel ne sait presque rien d'elle ; il se lance donc dans la reconstitution minutieuse de sa vie, qui dévoilera bien des surprises et réveillera son lot de fantômes. Des émeutes de Chicago en 1968 au New York post-11-Septembre en passant par la Norvège des années quarante et le Midwest des années soixante, Nathan Hill s'empare de l'Amérique d'aujourd'hui et de ses démons et compose avec beaucoup d'humour une fresque aussi ambitieuse que captivante.

Par Nathan Hill
Chez Editions Gallimard

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Genre

Littérature étrangère

 


Pour Jenni

 

 

Il y avait un roi, à Sãvatthi. Un jour, il demanda à un homme de rassembler tous les habitants de la ville aveugles de naissance. Lorsque l’homme se fut exécuté, le roi lui demanda de montrer un éléphant aux aveugles. À certains d’entre eux, l’homme présenta la tête de l’éléphant, à d’autres, une oreille, à d’autres encore, une défense, la trompe, le corps, une patte, l’arrière-train, la queue, la touffe de poils au bout de la queue. À chacun, il déclara : « Ceci est un éléphant. »

Lorsqu’il raconta au roi ce qu’il avait fait, le roi alla voir les aveugles et leur demanda : « Dites-moi, aveugles, à quoi ressemble un éléphant ? »

Ceux à qui l’on avait montré la tête de l’éléphant répondirent : « Un éléphant, Votre Majesté, ressemble à une jarre à eau. » Ceux à qui on avait montré une oreille répondirent : « Un éléphant ressemble à un panier. » Ceux à qui on avait montré une défense répondirent : « Un éléphant ressemble à un soc. » Ceux à qui on avait montré la trompe répondirent : « Un éléphant ressemble à un pilier. » Ceux à qui on avait montré le corps répondirent : « Un éléphant ressemble à une réserve. » Chacun décrivit ainsi l’éléphant d’après la partie qu’on lui en avait montrée.

Puis, à force de « Un éléphant ressemble à ceci, un éléphant ne ressemble pas à cela ! Un éléphant ne ressemble pas à cela, un éléphant ressemble à ceci ! », ils en vinrent aux mains.

Et le roi fut ravi.

Paroles inspirées du Bouddha

 

 

PROLOGUE


Fin de l’été 1988

 

Si Samuel avait su que sa mère allait partir, peut-être aurait-il fait plus attention. Peut-être l’aurait-il davantage écoutée, observée, aurait-il consigné certaines choses essentielles. Peut-être aurait-il agi autrement, parlé autrement, été une autre personne.

Peut-être aurait-il pu être un enfant pour qui ça valait la peine de rester.

Mais Samuel ne savait pas que sa mère allait partir. Il ne savait pas qu’en réalité elle partait depuis des mois déjà — en secret, et par morceaux. Retirant des choses de la maison, une à une. Une robe de son placard. Une photo de l’album. Une fourchette du service en argent. Un édredon de sous le lit. Chaque semaine, elle prenait un objet différent. Un pull. Une paire de chaussures. Une décoration de Noël. Un livre. Lentement, sa présence s’atténuait dans la maison.

Elle s’y employait depuis presque un an quand Samuel et son père commencèrent à éprouver une sensation étrange, une sorte de déséquilibre, un sentiment confus et parfois dérangeant, voire morbide, de rapetissement. Le phénomène les frappait dans des moments curieux. Ils regardaient la bibliothèque, interloqués, et pensaient soudain : C’est tous les livres qu’on a ? Ils passaient devant le vaisselier et se figeaient, convaincus qu’il manquait quelque chose. Mais quoi ? Face à cette impression bizarre, aux détails du quotidien soudain remaniés, ils étaient à court de mots, interdits. Ils n’avaient pas compris que s’ils ne mangeaient plus de plats en cocotte, c’était parce qu’il n’y avait plus de cocotte dans la maison. Que si la bibliothèque semblait dépenaillée, c’était qu’elle l’avait dépouillée de tous les recueils de poèmes. Et que s’il semblait y avoir tout à coup de la place dans la vitrine du vaisselier, c’était que le service avait été soulagé de deux assiettes, deux bols et une théière.

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trad. Mathilde Bach
17/08/2017 720 pages 25,00 €
Scannez le code barre 9782070196494
9782070196494
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