#Roman francophone

Un enfant plein d'angoisse et très sage

Stéphane Hoffmann

Dans ce portrait d'une famille où la tendresse passe mal, on croise une chanteuse qui ne veut plus chanter, un Anglais qui n'aime que les chaussettes et la reine, un petit chien bien imprudent et une égoïste qui veut être ministre. On fait des virées à Londres et à Monaco et une traversée du lac Majeur. Il y a encore des blessures d'amour mal guéries et, bousculant tout ce monde, un enfant qui cherche la liberté. Stéphane Hoffmann retrouve ici le ton des Autos tamponneuses, des Filles qui dansent et de Château Bougon. Il aime rire des choses graves et nous émouvoir du spectacle souvent pitoyable des grandes personnes.

Par Stéphane Hoffmann
Chez Albin Michel

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Genre

Littérature française

Dans le clair petit bar aux meubles bien cirés,

Nous avons longuement bu des boissons anglaises ;

C’était intime et chaud sous les rideaux tirés.

Dehors le vent de mer faisait trembler les chaises.

On eût dit un fumoir de navire ou de train :

J’avais le cœur serré comme quand on voyage ;

J’étais tout attendri, j’étais doux et lointain ;

J’étais comme un enfant plein d’angoisse et très sage.

 

Valery Larbaud, Les Poésies de A.O. Barnabooth

 

 

1

 

Le jour où maman est partie, on me prévient que j’irai passer quelques jours chez ma grand-mère.

– Tu seras mieux là-bas, me dit le directeur.

– Mieux ? Je ne suis bien nulle part, pourquoi m’envoie-t-on encore chez cette folle ?

– Ce sont les vacances, Antoine. Tu ne peux pas rester ici. Tu as besoin de sortir, de t’aérer. Nous aviserons ensuite. Et puis, nous n’avons pas le choix : le tribunal en a décidé ainsi.

Merde !

Je n’aime pas ma grand-mère parce que je n’aime personne. Je suis un sauvage, on me le dit tout le temps. Un ours. Un asocial. Un solitaire. Un cas. C’est pour ça qu’on m’apprécie, paraît-il. Mais je ne veux pas qu’on m’apprécie. Je veux qu’on me foute la paix.

Et d’ailleurs, ce dont j’ai besoin, que peut-il en savoir ? Il avance la main, je crois qu’il va m’ébouriffer les cheveux, je me recule, il me donne une tape dans le dos. Comme pour me dire : « Courage, mon vieux ! »

Ce qui me fait éclater en sanglots, mais dans le couloir, Dieu merci, car déjà j’ai couru hors de son bureau.

 

2

 

J’ai pris le train à Lausanne. Germain vient me chercher à Cornavin, dans la Rolls bleu glacier. Une Silver Shadow 6.8 V8. Il charge ma valise, m’ouvre la portière. Ça fait drôle : un vieux en uniforme de portier d’hôtel ôtant sa casquette pour un gosse de treize ans. J’ai un peu honte, mais personne ne fait attention à nous. Je monte à l’arrière : il y tient.

– Ta valise est bien légère, Antoine. As-tu apporté ton travail ?

– Non, tout est fait.

Il a un petit rire. Comme s’il venait de remporter un pari.

– C’est vrai qu’avec toi, Tony, personne n’a de souci à se faire.

Germain a raison, je suis très bon élève. Meilleur moyen pour qu’on me laisse tranquille.

– De toute façon, ta grand-mère a du monde. Ça n’est pas elle qui te dérangera. Ni moi non plus. Je suis suffisamment dérangé comme ça !

Et il rit.

– Grand-mère reçoit des amis ?

– Non, un ennemi : un producteur. On a dû lui donner ta chambre, tu dormiras au deuxième.

– Au deuxième ? Pourquoi pas avec les chiens, tant qu’elle y est !

Il ne répond pas. Nous n’échangerons plus un mot jusqu’à la Tanière.

Germain aime conduire lentement. On dirait qu’il se dandine. Qu’il transporte la reine d’Angleterre. Ça bloque les routes, mais personne n’ose klaxonner une Rolls bleu glacier. Comme on ne peut pas doubler avant l’autoroute, les gens attendent. Au début, ça m’amusait de regarder leurs têtes. Plus maintenant. Encore une heure de route. Je m’endors en pensant à maman.

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17/08/2016 263 pages 18,50 €
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