#Roman francophone

Stella Corfou

Béatrix Beck

D'une beauté excessive, chevelure de naïade, oeil de feu, nez grec, Stella Corfou est une femme libre, qui le clame haut et fort. Quand Antoine Leroy la découvre aux Puces Matabois où elle travaille, il sait qu'elle deviendra sa femme ou qu'il en mourra. Il lui demande sa main, elle accepte. C'est l'amour fou, la vie folle, aussi belle que tragique, toujours drôle et fantasque, jusqu'à la déraison. Avec ce roman caracolant et picaresque, paru pour la première fois en 1988, Béatrix Beck, au sommet de son art, atteint une perfection du style dont l'exubérance est sans cesse contrebalancée par les ruptures temporelles et syntaxiques.

Par Béatrix Beck
Chez Editions du Chemin de Fer

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Genre

Littérature française (poches)

À Jean-Louis Rolland

et Jean-Michel Quiblier.

 

 

I

 

Elle s’appelait Gilberte Sanpart, nom presque oublié, et avait pris le pseudonyme de Stella Corfou. Étoile. Corps fou, folle de son corps, île sacrée.

Brocanteuse, vendait aux Puces Matabois des objets hétéroclites qu’elle allait chercher dans toute la région au volant de sa camionnette. Dans des ventes publiques ou chez des particuliers qu’elle enjôlait par son bagout ou réduisait à quia avec ses airs sauvages. Statuettes de Notre-Dame de Lourdes, Pères La Colique, Vénus de plâtre, une main sur le pubis et l’autre sur le cœur, assiettes à légendes célébrant Napoléon ou se moquant des premières tentatives aériennes, chaises dépareillées, croûtes romantiques, noires cuisinières miniatures avec bains-marie, poupées blessées, livres de prix (Robinson Crusoé, Vie et mort des Français, les Arts et métiers chez les Animaux, Contes de ma tante Tirelirelo), revues polissonnes et jaunies. Sa mère la traitait de coureuse de foires, de foireuse.

Stella était d’une beauté excessive. Front presque démesuré. Immenses yeux de bête préhistorique. Nez grec qui deviendrait aquilin avec l’âge, puis, quand elle serait vieille, crochu.

Sa bouche ne se fermait jamais tout à fait, laissant entre les commissures et le sommet de l’arc deux fentes étroites qui épousaient la courbe de la lèvre supérieure. L’ouvrait en grand, comme la Marseillaise de Rude, pour laisser échapper obscénités et excentricités, le soleil a l’air d’un troudu, le manche à balai des sorcières est une queue qui vous envoie en l’air, plus drôle que de balayer sa turne. La route est ma patrie.

Caressant les lombes, lourde et sombre chevelure que sa mère voulait castrer, « ne remets plus les pieds à la maison avant d’avoir coupé cette tignasse ».

— Tu nous fais chier, répondait l’ex-Gilberte Sanpart, « nous » étant un pluriel de majesté. Je me les couperai quand ils seront queues-de-rat comme toi.

Ce disant, la jeune femme tendait à sa génitrice un coquetier d’opaline ou un rond de serviette en buis, offrande propitiatoire et gage d’amour filial, malgré tout.

Madame Veuve Sanpart Gilbert rangeait le cadeau dans un coffret destiné à recevoir les trésors, en maugréant merci c’était pas la peine qu’est-ce que tu veux que je fasse de ça j’ai tout ce qu’il me faut tu me prends pour une miteuse tes rossignols tu ferais mieux de les garder pour tes pigeons je vais te faire un bon petit frichti qu’est-ce que tu dirais d’une crépinette aux brocolis ?

— Te fatigue pas maman je te croque une pomme et je me tire.

Belles mains androgynes surchargées de bagues aux énormes chatons, deux d’entre elles, sur la phalange et la phalangine, reliées par une chaîne et une autre à secret, recelant une dent de lait, celle de son enfance narcissiquement aimée.

Belles oreilles alourdies de pendants clinquants ou d’anneaux semblables à ceux qu’on enfile au groin des cochons truffiers.

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03/11/2016 128 pages 15,00 €
Scannez le code barre 9782916130873
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