#Polar

Prendre les loups pour des chiens

Hervé Le Corre

Après avoir purgé cinq ans pour un braquage commis avec son frère Fabien, Franck sort de prison. Il est hébergé par les parents de Jessica, la compagne de Fabien. Le père maquille des voitures volées, la mère fait des heures de ménage dans une maison de retraite. Et puis il y a la petite Rachel, la fille de Jessica, qui ne mange presque rien et parle encore moins. Qu'a-t-elle vu ou entendu dans cette famille toxique où règnent la haine, le mensonge et le malheur ? Dans une campagne écrasée de chaleur, à la lisière d'une forêt angoissante, les passions vont s'exacerber. Entre la dangereuse séduction de Jessica, l'absence prolongée de Fabien et les magouilles des deux vieux, Franck est comme un animal acculé par des loups affamés...

Par Hervé Le Corre
Chez Rivages

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Editeur

Rivages

Genre

Policiers

C’était un temps déraisonnable

On avait mis les morts à table

On faisait des châteaux de sable

On prenait les loups pour des chiens

Tout changeait de pôle et d’épaule

La pièce était-elle ou non drôle

Moi si j’y tenais mal mon rôle

C’était de n’y comprendre rien

Louis Aragon, La Guerre et ce qui s’ensuivit

(« Est-ce ainsi que les hommes vivent ? »)

in Le Roman inachevé

 

 

LES CHIENS

 

 

1

 

Ils l’avaient libéré une heure plus tôt que prévu et comme il pleuvait il avait dû attendre sous l’espèce d’abribus installé au rond-point, l’entrée de la prison derrière lui avec pour tout paysage un champ de maïs, de l’autre côté de la route, et le parking, ses portiques et ses grilles et les allées et venues des visiteurs, femmes, enfants, vieillards, le claquement sourd des portières. Il s’était penché et avait vu les hauts murs qui couraient sur près de quatre cents mètres et ça lui avait remué l’échine d’un méchant frisson, il s’était assis sur le banc de bois, enfoncé sous cet abri, pour en voir le moins possible alors qu’il avait rêvé pendant ces années d’embrasser des yeux l’horizon tout entier sans le moindre obstacle. Il avait posé son gros sac de voyage à ses pieds, gonflé et bosselé, pesant le poids d’un âne mort à cause des livres qu’il avait fait venir pendant sa détention et qu’il tenait à faire sortir comme il aurait emmené des animaux familiers doux et fidèles.

Il a eu le temps de fumer trois cigarettes en écoutant cesser le clapotement de la pluie s’éloignant vers le sud avec des grognements sourds d’orage. La lumière a surgi brusquement, écartant d’un coup les nuages, allumant soudain une joaillerie toc jetée sur toute chose et frémissant avec des bruits de bouche. Il clignait des yeux sous cet éblouissement et il considérait ces nappes scintillantes avec un ébahissement d’enfant devant un arbre de Noël.

Quand il a vu cette voiture ralentir puis entrer sur le parking et rouler au pas, il a regardé sa montre : plus d’une heure déjà qu’il attendait sans avoir senti la moindre minute passer. Le temps comme une eau qu’on essaie de garder entre ses mains. Filant et se perdant. Alors qu’en prison chaque quart d’heure collait à la peau, moiteur étouffante, sueur malsaine. Il a suivi des yeux la petite Renault rouge qui ressortait à présent du parking et s’arrêtait. Conduite par une femme dont il distinguait mal les traits derrière les reflets du pare-brise. Il n’avait pas besoin de son appel de phares pour savoir qu’on venait le chercher. Il lui a adressé un signe de la main et s’est levé pendant que la voiture traversait la route pour venir se ranger devant lui.

Il s’est penché en même temps que descendait la vitre, a dit « Bonjour » à une paire d’yeux bleus très clairs, ou gris. Très clairs. Il n’a vu que cette sorte de phosphorescence délavée dans l’ombre de l’habitacle. Elle souriait, penchée vers lui. Moins de trente ans.

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11/01/2017 317 pages 19,90 €
Scannez le code barre 9782743637910
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