#Bande dessinée jeunesse

Une fille de...

Jo Witek

Le long de la ligne verte, Hanna avale les kilomètres de chemin quatre fois par semaine. Dans ces moments de solitude, elle se sent libre, forte, protégée du regard des autres. Hanna est la fille d'Olga, prostituée ukrainienne. Ailleurs, en ville comme en cours, c'est plus difficile. Par amour pour sa mère, elle décide un jour de ne plus avoir honte. De relever la tête et de raconter son histoire, au rythme de ses foulées.

Par Jo Witek
Chez Actes Sud Editions

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Auteur

Jo Witek

Genre

12 ans et +

À Myriam, et à ceux qui payent chèrement pour le plaisir des autres.

 

 

“On les abreuve de honte parce qu’on en a fait des prostituées, comme si la honte était pour les victimes et non pour les assassins.”

 

Mémoires de Louise Michel.

 

 

   

 

J’aime courir. J’aime courir seule sur la ligne verte. Elle traverse la ville, longe le fleuve et s’échappe vers la forêt. C’est une ancienne voie de chemin de fer, réaménagée en piste cyclable, terrain de sport ou sentier pour les amoureux. J’aime l’idée que les endroits abandonnés puissent renaître. J’aime l’idée que l’on puisse renaître.

 

 

 

Je me sens vieille. Ébréchée.

Tellement différente des filles de mon âge. Si j’essaie de revenir au début de mon histoire, au moment précis où j’ai réalisé cette différence, c’est toujours la même photo qui s’imprime. Celle d’un jour embaumé de lilas, celle de ma mère dans une robe en mousseline verte.

Elle m’emmène en ville acheter une paire de chaussures. Des chaussures de grande, elle dit, pour ton anniversaire. Au loin, c’est une belle boutique, chic, avec des dames bien habillées.

Des femmes élégantes, nous nous rapprochons. Ma mère aussi est élégante.

Pour elle, les vêtements ont toujours été importants. Essentiels même, comme la poudre légère, les dessous, le rouge et le noir. Au début de ce souvenir, je suis fière de lui tenir la main. Souriante, innocente, une petite fille comme les autres. C’est très clair ça, sur la photo.

Et puis nous franchissons la porte de la boutique de luxe, et soudain tout se fige, se brise. Mon enfance s’arrête là.

Dans le tintement aigu d’une clochette de bienvenue.

Nous entrons main dans la main.

 

Deux vendeuses nous saluent d’un rictus élastique. Je vois la méchanceté pointer entre leurs dents.

 

Tout se précipite.

Un vieil homme sort de l’arrière-boutique, il regarde ma mère. Je vois des yeux de bête. Des yeux de commandant.

Des yeux qui font plier les têtes des vendeuses. Les unes après les autres, au garde-à-vous.

Pas la mienne.

 

Je soutiens son regard de loup. Je le déteste. Un instinct. Je sens que je dois le détester. Que j’en ai le droit.

Ma mère me lâche la main.

Elle s’agenouille. Tu seras bien sage, maman n’en a pas pour longtemps.

Tu regardes les chaussures, tu choisis celles que tu préfères et les vendeuses te les feront essayer.

Elle m’embrasse et m’abandonne.

Là.

Je reste seule au milieu de quatre femmes et la porte de l’arrière-boutique se referme sur les jambes nues de ma mère. Je suis sage. Je me tais. J’essaie les chaussures. Elles me font mal. L’absence de ma mère me fait mal. Je sens que ce qui se passe derrière la porte de l’arrière-boutique est monstrueux. Je pense à Barbe Bleue.

À l’ogre, au sang, aux cris. Un souvenir aveuglant. Plus de photo, juste la peur. À quatre ans, je comprends. Je n’ai pas les mots bien sûr, les mots sont venus après, mais je sais que c’est à ce moment-là que j’ai compris.

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30/08/2017 93 pages 9,00 €
Scannez le code barre 9782330081423
9782330081423
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