LA CINQUIÈME SAISON
C’était facile avant.
Pris dans les filets de la pluie
dans le cordage des rues inconnues
nos corps se libéraient de leurs peurs
reniaient l’oubli et devenaient immortels.
C’était facile même après :
après avoir partagé la pomme,
le verre de vodka, le fado,
la dernière cigarette
et les coups du clocher au petit matin.
Puis la pluie a cessé.
Il arrive toujours un moment où la pluie s’arrête
car le nouveau Noé n’est pas encore né,
car nous n’avons pas encore construit notre bateau.
Alors, les araignées ont commencé à tisser
leurs toiles dans le noyer au fond du jardin,
si fines, si confiantes au coucher du soleil,
qu’elles ne pouvaient pas résister
au fardeau de mes pensées
qu’il était impossible de partager avec toi :
nos poèmes sont des pièges pour le vent *.
Mais comment pourrais-je attraper le vent
qui s’enfonce à travers les herbes folles,
poussées peu après la moitié de ma vie ?
Le vent qui se glisse comme une faux
en frayant le sentier,
où la tortue de mes désirs insatiables
traîne sa carcasse.
Je passerai sous silence
que tu es la plaque vertébrale
sur le toit de ma maison de tortue,
que le temps passe vite
et les minutes s’allongent
comme un dimanche pluvieux de novembre
dans ces altitudes
où tu n’es pas.
Que la plaque petit à petit se décolle
et le vent siffle par-dessous,
se faufile entre mon dos dénudé
et le toit de ma maison,
et le froid s’empare de mon corps.
Je ne te dirai pas
que quand elle tombera enfin,
je resterai à jamais immobile et muette,
couchée parmi les herbes folles
qui poussent depuis des siècles
sur cette péninsule maudite.
Je ne sais même pas pourquoi
je te raconte tout cela :
tu ne parles pas ma langue
tu n’es qu’une pluie d’été égarée,
passant par hasard
peu après la moitié de ma vie.
*. « Pièges pour le vent » (1987), recueil de poèmes du poète lituanien Kornelijus Platelis.
La venue d’une barbare
DE L’AUTRE CÔTÉ DE LA LIBERTÉ
Elle a pour maison toute une mer
et plein de fenêtres pour invitées.
Aussi chassez ce coq de l’escalier de pierre :
à l’aube, sa crête de feu embrasera les voiles
encalminées, à cause desquelles elle a coulé
dans ses yeux toutes les Ithaques.
Chassez donc ce coq
à présent qu’elle apprend à s’aimer
et que son corps souple s’habitue à l’ascèse,
à présent qu’elle promène sa frêle joie dans le jardin,
sans soupçonner combien de petites morts
l’attendent dans toutes ces fenêtres
qui ont assiégé la mer.
UN FOULARD LONG DE DIX-SEPT ANS
Nous hivernons depuis longtemps
dans des sud séparés
et nos rêves sont différents
mais nous les oublions le matin
c’est pourquoi nous volons encore ensemble.
Il est impossible de te raconter :
le jour de mars dans cette ville
est un foulard rouge ;
je lie le bout du matin
à l’embouchure de la rivière
et le vent le gonfle,
le promène dans les rues du quartier
et des pots de géraniums
poussent sur les balcons.
Je porte de la glaise et des brins de paille
Extraits
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