INTRODUCTION
À la recherche de la gauche
La gauche française fut forte, politiquement et moralement, lorsqu’elle assuma l’histoire en train de se faire et qu’elle ne se laissa pas dominer par elle. C’est la leçon qui découle de son étude, en particulier de celle des socialistes lorsqu’ils entrèrent dans l’âge de la politique moderne au début de la IIIe République et que se posa pour eux la question de la démocratie. Mais cette connaissance qui nous paraît essentielle aujourd’hui oblige à chercher ce passé de la gauche et des socialistes en dehors des récits conventionnels qu’en tracent les appareils, les dirigeants ou les congrès. Il faut regarder avant la naissance du Parti socialiste de 1905 et sur ses marges durant tout le XXe siècle pour comprendre la force politique que représenta la gauche et mesurer son effondrement actuel. Depuis le choc du 21 avril 2002 où Lionel Jospin échoua au premier tour de l’élection présidentielle, laissant s’affronter au second le candidat de droite et celui d’extrême droite, le Parti socialiste multiplie les défaites en dépit de succès électoraux qui ne peuvent plus faire illusion. Son désarroi actuel devant la montée de la gauche anticapitaliste et antidémocratique apparaît sans issue. Et son impuissance à agir face au président de la République Nicolas Sarkozy devient un problème politique crucial qui pèse sur l’avenir du pays.
La situation actuelle de la gauche n’obère pas seulement sa capacité à survivre. La faiblesse dramatique qui est désormais la sienne affecte la France entière et toute la République. Sa responsabilité dans le recul de la démocratie est considérable. Comme l’a clairement souligné l’historien américain Tony Judt, « l’un des pires aspects de la France de Sarkozy » est le champ libre laissé à sa politique. « C’est grave : n’oublions pas que c’est l’absence d’une opposition démocratique digne de ce nom aux États-Unis qui a permis la catastrophe Bush. » Un sursaut de la gauche intéresserait donc bien au-delà de ceux qui, politiquement, s’y rattachent. Il ne s’agit de rien de moins que de maintenir en France un cadre démocratique. La gauche – et en son sein les socialistes – ne manque pourtant pas d’atouts pour revenir au cœur du débat et de l’action politique. Les enseignements de son histoire le prouvent, et plus encore le lien qu’elle tissa avec l’histoire pour nourrir sa pensée.
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La recherche des raisons de cette faillite ramène en effet à une pensée de l’histoire, que la gauche semble avoir définitivement abandonnée après l’avoir si fortement incarnée. Avant l’unité des socialistes en 1905, il y eut une période cruciale qui ne peut laisser indifférent aujourd’hui. Des enseignements politiques décisifs y sont présents. Dans ces temps préhistoriques, des socialistes ont mené, de la résistance contre le boulangisme à la défense du capitaine Dreyfus, de la bataille contre les « lois scélérates » à la séparation des Églises et de l’État, des combats majeurs, fondateurs non seulement du socialisme démocratique mais aussi de la démocratie républicaine et des valeurs françaises les plus essentielles. La naissance de la SFIO est venue après ce temps d’engagement et de liberté. Le Parti socialiste unifié ne s’est pas, ou peu, identifié aux luttes qui l’avaient précédé et qui le dépassaient. L’unité avait même pour fonction de dissoudre d’une certaine manière les défis historiques qui risquaient de diviser les socialistes comme ils les avaient séparés dans le passé. D’où la glaciation progressive des appareils. Car le refus des luttes civiques et morales excluait les débats et les reformulations qui avaient été ceux des socialistes avant 1905.
Extraits
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