Il est évident que la femme par nature est destinée à obéir. Et la preuve en est que celle qui est placée dans cet état d’indépendance absolue contraire à sa nature s’attache aussitôt à n’importe quel homme par qui elle se laisse diriger et dominer, parce qu’elle a besoin d’un maître.
Arthur Schopenhauer, Essai sur les femmes
Alors, un jour, j’ai soufflé sur la vitre de la fenêtre, j’ai dessiné une porte sur le carreau embué et j’en ai franchi le seuil.
Pino Cacucci, Viva la vida !
Le renoncement est la première victoire sur les Ténèbres.
Livre du Soleil
Les ombres s’estompent, chassées par le matin. Dans la cour du temple, deux stalagmites grumeleuses dressées vers la lumière. Au milieu, une femme vêtue de blanc, bras en croix, attachée. Ses cheveux noirs ont été taillés à quelques centimètres de son crâne. Son menton est fier. Ses yeux, creusés de cernes, fixent un point vague et lointain.
Bruissement, tout autour d’elle. Des murmures, des grondements. Des formes qui se précisent, une foule qui s’anime, se déploie, se rapproche, vrombissante et avide…
J’inspire brutalement. Mes oreilles bourdonnent. Mon cœur bat à tout rompre. J’ai soif et froid, pourtant je suis en sueur. C’est à cause de ce rêve qui m’échappe déjà, ce rêve dont les images fuyantes me transpercent comme des pointes acérées, ce rêve que je connais bien, puisqu’il revient régulièrement me hanter.
Près de moi, je perçois la tiédeur d’Arienn, ma petite sœur ; son souffle régulier s’élève dans la cellule que nous partageons au sein du gynécée. Son innocence me rassure. Elle est encore trop jeune pour être la proie de la noirceur et connaître son étreinte poisseuse, qui altère nos âmes et nos corps. Normalement, nous sommes épargnées jusqu’à la puberté, mais mon père, Caspian, qui travaille pour les Sept, dirigeants de notre cité, dit que les Ténèbres se manifestent parfois plus tôt, de manière sournoise. La curiosité et la dissimulation en sont les premiers signes. Un jour, je m’en souviens, il a comparé ces souillures précoces aux parasites qui croissent dans l’estomac des bêtes et les empoisonnent. Si nul ne perçoit leur présence et n’élimine l’animal responsable, le mal se propage et le troupeau entier risque la mort.
Selon lui, il en va de même avec nous autres, sang-de-lune : il faut nous surveiller étroitement, et ce depuis notre plus jeune âge, pour éviter que nous ne pourrissions et infections les autres avec nos idées.
Cela me trouble.
Arienn n’est qu’une enfant. Soupçonner qu’elle porte en son sein le germe de l’obscurité, ou qu’il est déjà trop enraciné pour la guérir, me semble inconcevable. Et pourtant…
Ma petite sœur ne serait pas la première à être pendue ou exposée dans les tunnels sombres, malodorants et à mourir de faim, proie de l’obscurité et des monstres qui s’y terrent, victime de la barbarie des hordes qui rôdent à la lisière de la cité. Comment réagirais-je, si Arienn était jugée trop dangereuse pour la communauté ? Je pleurerais beaucoup, j’imagine. Mais je finirais par m’incliner et accepter le verdict et le châtiment. Parce que je n’ai pas le choix. Parce que c’est écrit dans les Lois d’Alta, qui définissent les règles de notre société.
Extraits
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