POESIE - Si l’on en croit certains journaux nationaux tout récemment parus, dont un excellent dossier de L'Obs, « Poésie la nouvelle vague », signé Amandine Schmitt – La poésie reviendrait à la mode, à condition toutefois qu’elle ne l’eût été un jour ! Genre littéraire quelque peu oublié voire parfois relégué au second plan, il n’en demeure pas moins, que la poésie a toujours ses « défenseurs et ses adeptes » qui eux ne se soucient guère des effets de mode.
Le 12/04/2021 à 12:17 par Jean-Luc Favre
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12/04/2021 à 12:17
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Mais gare cependant à la confusion des genres dans une discipline qui se veut somme toute universelle ou universalisante, mais dont la pratique n’en demeure pas moins soumise à des règles parfois rigoristes, mais nécessaires. Car tout n’est pas poésie en effet ! Le danger ou « l’idiotie » serait de croire « que tout l’est », et que tout un chacun ou chacune, puisse s’y adonner ou s’y perdre en clamant de vaines appartenances et d’incertaines filiations. Erreur ! La sublime illuminatoire poésie, n’en touche que quelques-uns, et rares sont les grandes poétesses et poètes d’aujourd’hui, si l’on considère un exercice souvent sacrificiel, mais pas toujours hautement inspiré. Certes chaque poète se définit lui-même en vertu d’une inspiration qui lui est propre, sans pour autant théoriser sur le sens même de son écriture, et qui fera naitre ou pas certains courants poétiques qui feront date et que l’histoire littéraire retiendra précautionneusement.
Il existe dans ce sens quelques précurseurs en la matière, « des voix audibles » diront certains critiques ou spécialistes avisés ; éprises d’une liberté partiellement spontanée ou populaire, comme par exemple un Thierry Renard, fondateur des éditions Paroles d’Aube, qui contribua largement à la notoriété du poète Charles Juliet, aux côtés de Patrick Vighetti, philosophe et traducteur, puis la passe du vent ; dont l’écriture personnelle est le symbole probant d’une liberté de ton qui n’a rien d’un libertinage littéraire, mais prend sa source dans un vécu intégral, volontairement démesuré, comme en témoigne une œuvre prolifique comme jamais épuisée ! Ou bien encore un Matthias Vincenot, fondateur du Festival poétique de Concèze en Corrèze et président de l’association « Poésie et chanson Sorbonne », dont la voix s’intimise musicalement et fait la part belle aux tonalités harmonieuses et expressives sans prétendre à une révolution excessive du genre. D’autres plus discrets, comme Porfirio Mamani Macedo, Stéphane Bataillon et son irrésistible Gustave. Parmi les femmes encore, Valérie Rouzeau, Nathalie Quintane, Cécile Coulon, et l’une des jeunes voix féminines les plus emblématiques de son temps, en la personne de Linda Maria Barros, dont la poésie « saignée au corps » (de l’incertain), exerce désormais une véritable influence.
Des éditeurs aussi sans lesquels la poésie serait « morte » depuis des lustres. Les grandes maisons bien sûr, Gallimard, Flammarion, le Seuil, mais également les plus modestes, encore que ! Qui n’en demeurent pas moins des fers de lance incontournables, Caractères notamment, illustre maison fondée en 1950 par Bruno Durocher et actuellement dirigée par la poétesse Nicole Gdalia, « sa compagne et sa muse », avec un domaine étranger assez impressionnant, Rougerie, Fata Morgana, Le temps des Cerises, le Castor Astral, Cheyne etc.
Et bien évidemment les courageuses éditions Bruno Doucey. Plus récemment aussi la collection « points poésie » dirigée désormais par Alain Mabanckou, lui-même grand poète et romancier. Saluons au passage, l’imposant travail de « mémoire » et de valorisation de Florence Trocmé, et son site « Poezibao » qui dresse un panorama complet de la poésie française contemporaine. En clair, la poésie a de beaux jours devant elle. Nul besoin donc de la hisser au Panthéon des histoires courtes !
Parmi les poètes quelque peu effacés out tout bonnement en retrait, j’ai découvert tout récemment au gré de mes lectures poétiques, le dénommé Sébastien Minaux, auteur de deux ouvrages parus aux éditions Alcyone, Le Fruit des saisons (2017), Ombries (2020) dont la poésie clarifiante, que je qualifierais volontiers de « végétale et charnelle », mérite un petit coup de projecteur.
Né en 1975 en Picardie, Sébastien Minaux se révèle un élève particulièrement brillant qui l’amène à étudier les lettres classiques en hypokhâgne ; il découvre également les Sciences politiques à Paris, puis à Florence afin de rédiger un mémoire universitaire. Par la suite, d’abord tenté par le journalisme radiophonique et la presse écrite, il opte finalement pour l’enseignement et commence à publier ses premiers textes dans quelques revues de qualité grâce auxquelles il obtient une audience mesurée.
Il se produit alors dans les âmes ventées, l’emmêlement des couleurs de l’automne. Il y a du jeu dans l’algorithme des feuilles, une tribulation, et la forêt à ces façons de peintre qui tempête.
Et les branches s’éliment ouvrant la voie à la lumière et cousant le tapis et rouge et brun et or. La roche granitique, martyr des torsions telluriques, reflètent quelques grains d’argent, comme la feuille de papier que l’on découvre dans la chambre noire.
Sébastien Minaux se veut-il ouvertement un contemplatif de son inspiration qui puise ses profondeurs intuitives dans une nature mouvante ; ou un simple observateur conscient de sa vie intérieure dont l’intimisation se révèle librement féconde, en contournant les obstacles de la mélancolie. Deux premiers ouvrages d’ailleurs qui ne sont pas si éloignés dans leur formulation. Le poète cherche une voie, sa voie, au-delà des limites acquises de la pensée et du « Verbe », mais plus encore de la jouissance des mots, comme si une autre direction l’appelait vers de nouvelles contrées, peut-être moins magiques, mais spécifiant le trouble de l’inconnu.
Il n’en fallait pas moins pour que le poète « s’étoffe » à son tour, comme tant d’autres congénères, (recherchant une explication à la passion ardente et jamais assouvie) - de trop savoir et percevoir la profondeur réelle qui l’habite en soubassement d’une trop longue attente. La révélation n’a pas toujours lieu, (non pris, non dit, non communicable) et elle n’est pas toujours le lieu précis de sa hantise ou autres convulsions métaphoriques et verbales.
Il existe une tout autre grammaire, qui mérite alors d’être finalement explorée, mais non sans risque toutefois. L’auteur vient d’ailleurs de publier un troisième recueil sous le pseudonyme d’Alexis Bardini, intitulé Une épiphanie dont le titre singulièrement religieux ou modestement spirituel n’est pas tout-à-fait anodin.
Les murs de notre demeure sont bâtis de paroles
Nous refusons les cris
Ils s’accumulent en silence
Les visages derrière les parois menacent
Et les bouches ne sont pas closes
Elles réclament à bas bruit
La part qui leur est due
Aujourd’hui sur la brèche
Un mot de trop
Un pas perdu
Notre maison s’élève sur un gouffre
De quel côté de la voix faut-il être
Quand les mots craquent
Au cœur de la phrase
(P 74)
Telle semble être la conclusion d’un long cheminement à travers les mots dans sa propre demeure qui conjugue dans un même temps, l’espoir de voir (revoir) enfin le jour. Ô infinie clarté !
Et même si les bouches ne sont pas totalement closes, même si elles réclament à bas bruit la part qui leur est due, il est tout de même probable, parmi d’autres incertitudes de la vie que la récompense ne soit jamais au rendez-vous... Un poète à découvrir donc !
Sébastien Minaux - Ombries - Alcyone - 9782374050713 - 18 euros, Alcyone
Alexis Bardini - Une épiphanie - Gallimard -9782072915529 - 12 euros
Paru le 04/03/2021
104 pages
Editions Gallimard
12,00 €
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lxbfYeaa
12/04/2021 à 18:31
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