Il a dirigé de nombreux ouvrages de mythocritique dont le Dictionnaire des mythes littéraires (1988) et le Dictionnaire des mythes du fantastique (2003), Pierre Brunel a occupé tout au long de sa carrière universitaire des fonctions prestigieuses. Dont la chaire de littérature comparée auprès de l’Institut Universitaire de France. Actuellement membre de l’Académie des Sciences Morales et Politiques, il est le spécialiste incontesté dans ce domaine et s’intéresse depuis quelques décennies aux étrangetés de ce monde — remontant jusqu’à l’Antiquité.
Pierre Brunel inventorie des catégories parfois oubliées ou bien alors partiellement sublimées de notre imaginaire et plus spécifiquement ce que l’on range sous l’appellation « métamorphose » qui échappe de fait à la logique ordinaire. « La métamorphose est à la fois un mythe génésique et un mythe eschatologique, à la fois un mythe de la croissance et de la dégradation » qui découvre dans un temps tantôt identique, et tantôt opposé, « autant de variations et de contradictions ».
Elle témoigne alors d’une acceptation constante « du mythe en fonction des valeurs d’une époque et d’une société données ».
Or le mythe semble dans certains cas bien plus complexe qu’il n’y paraît au-delà de sa charge fantastique, car il ne se déclare pas d’emblée tel qu’il est ou tel qu’il prétend être comme faire valoir d’une « intrigue unique en son genre ». Aussi bien que les métamorphoses qui en découlent comme une transposition lumineuse de l’imaginaire (errant ?) se conçoit également comme le règne probant et indistinct d’une forme d’obscurité où l’humanité prend subitement sens.
Dans son ouvrage, Le mythe de la métamorphose, Pierre Brunel délimite ainsi les contours de cette parfaite synergie de ladite étrangeté. « Dans les cultures anciennes, l’évocation de la possibilité humaine de circuler librement entre les différents régimes de la nature témoigne d’une conception unitaire de la vie de l’univers, selon laquelle l’ensemble du réel constitue un corps homogène dont les composantes participent du même principe vital. De plus la croyance dans une identité de fond entre l’homme et tous les autres êtres et degrés de l’existence cosmique, c’est-à-dire la possibilité d’un passage à l’incessant d’une forme à une autre, est le présupposé sur lequel se fonde l’idée d’une correspondance entre le macrocosme, c’est-à-dire l’univers, et le microcosme, l’homme qui en serait le reflet. (…) Le corps entier participe à la nature, l’homme ressemble aux pierres par ses os, aux arbres par ses ongles, aux herbes par ses cheveux, aux animaux par ses sens. »
C’est en quelque sorte sous cet aspect quelque peu informel que Pierre Brunel tente à son tour « d’expliquer les origines et les fonctions de l’imaginaire de la transformation (…) Le mythe de la métamorphose traduit un questionnement universel de l’homme sur sa place dans le monde, sur son passé prénatal et sur son futur après la mort » écrit de son côté Cristina Noacco (La métamorphose dans la littérature française du XIIe et XIIIe siècle. Presses universitaires de Rennes).
Dans cet espace clairement défini des changements et mutations possibles, les exemples sont souvent édifiants, à partir desquels Pierre Brunel considère non moins des états de fait que des conjugaisons possibles de l’esprit en quête de changement probant. Inverser la nature, lui octroyer de nouveaux droits, est aussi une constante universelle dont le mythe est l’ultime instrument. À commencer par Les métamorphoses d’Ovide, composées au tout début du 1er siècle sous le règne de l’Empereur Auguste.
Une œuvre magistrale comprenant quinze livres, environ douze mille vers. « Jupiter convoque l’assemblée des dieux pour l’informer de son désir d’anéantir l’espèce humaine à cause de sa malfaisance, en racontant d’abord les crimes du Lycaon, son impiété, sa servilité, sa tentative de tuer Jupiter et de lui faire manger de la chair humaine. Et sa punition, sa transformation en loup. » « Jetez derrière votre dos les os de votre grande mère » (V 383). Ainsi le mythe est-il né et perdurera pour longtemps encore ! De ce point de vue, et pour argumenter plus avant, Pierre Brunel, ne se contente pas dans son ouvrage d’énumérer tous les aspects de la métamorphose, il interprète aussi au gré des époques leur « malignité » absorbante, comme dans, L’éloge de la vie porcine de Machiavel, ou bien encore L’indien ramassé en boule de William Thomas Beckford, sans oublier Gérard de Nerval, Gogol, et bien évidemment Kafka, auquel l’auteur voue une admiration particulière.
Et quelques autres encore. Mais l’on pourrait aussi citer bien d’autres objets de la hantise humaine tournée vers l’inexpliqué et l’inexplicable, en vertu de peurs immémoriales et d’un intense désir (inassouvi) de s’infliger des peines ou à l’inverse s’accorder des récompenses comme pour justifier d’un improbable destin. « C’est sous l’apparence d’un taureau blanc aux cornes dorées que Zeus enlève Europe, sous celle d’un cygne qu’il s’unit à Léda. » Ô impudente séduction !
Mais encore la colère et la brutalité jouxtant la fatale punition. Car, il y a toujours un châtiment à la clé pour qui tente de défier l’ordre du monde imposé par les dieux. Charybde, Scylla, Callisto, Arachnée, ou bien encore les compagnons d’Ulysse transformés en cochons par Circé. Et puis parfois quelques délicates bontés qui n’ont rien de subsidiaire, comme Philémon et Baucis changés tous deux en arbres pour avoir accordé l’hospitalité à Zeus et à Hermès.
Et comme l’affirme encore l’auteur, la métamorphose, « se présente d’abord comme une audace, la transgression, si elle est interdite, un privilège si elle est permise ou octroyée par les dieux ». Elle n’est donc pas simplement un artifice de la conscience sublimée, mais également « le trône sur lequel s’assied », toute l’humanité. Il n’en fallait pas moins pour que ce dernier s’insinue plus avant dans la compréhension de tant de phénomènes surnaturels avec un ouvrage paru tout récemment, Les Grands Mythes pour les nuls, où l’on côtoie allégrement les figures de Prométhée, Achille, Ulysse, Jason, Oedipe, Orphée, Sisyphe, Hercule, etc.
Mais pour les nuls avez-vous dit ? Pas de quoi tout de même se transformer en âne....
Pierre Brunel – Les grands mythes pour les Nuls — Pour les Nuls — 9782412038741 – 22,95 €
Paru le 16/01/2020
371 pages
First
22,95 €
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