Parfois, on se décourage. On ne trouve pas la perle, le texte qui nous fera tenir, celui qui nous fera traverser l’automne, sans même réaliser que la nuit tombe plus tôt. Et puis, se produit un heureux évènement. On tombe sur une esthétique du crépuscule, un roman du soir.
Le 03/10/2011 à 16:37 par Clément Solym
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03/10/2011 à 16:37
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On rencontre un livre, qui nous ramène, à la littérature. Sans discussion et en plein dedans. Du temps qu’on existait est de ceux-là. On le comprend vite, il suffit de lire les premières pages. Là, d’emblée, quelque chose agit, une voix se fait entendre. Loin de la production courante, loin des phrases sous vide, il y a là de la nécessité, et déjà, quelquechose qui pourrait s’appeler de la conscience.
C’est que Du temps qu’on existait est un premier roman et que son auteur a 19 ans. Cela en fait déjà rire certains, tant le style est mature, tant cela parait incroyable, mais Marien Defalvard « ne débarque pas » comme ça avec un tel roman. Il revient déjà de loin.
Et si parmi la rentrée littéraire il fallait en choisir un, ce serait lui. Oui, c’est dit.
Difficile de « raconter » ce roman. Un homme meurt dès les premières pages, et se souvient. De sa vie, qui a été une existence, une errance mélancolique, entre Tours, Lyon, Orléans, Paris, la (riante) vallée de la Maurienne, décrite majestueusement. Le narrateur vit dans le révolu, seul un indéfectible amour pour le langage le fait survivre au présent. Les souvenirs sont des veines apparentes qui se dessinent à la surface des choses.
On ne peut pas vivre sans fantasmer sur un âge d’or, un instant cristallisé qui sépare un avant et un après. Le narrateur aime fureter dans la mémoire, s’y perdre, s’y exiler. Il cherche autant la vérité que le vague, jusqu’à trouver l’extase dans la combinaison des deux. Le langage le comble.
Dans ce roman éminemment proustien, comme on se plait à dire, le héros se déplace comme un fantôme errant. Du temps qu’on existait, équivaut presque à du temps qu’on mourrait. Le personnage nait mort. La vie le quitte. Le néant entre progressivement en lui. La rancœur devant la vie grandit. Alors ce qui compte, ce sont les lieux. Les temps et les lieux sont les grands personnages car eux, construisent.
Il s’agit ainsi plus de finitude que de mort. D’une recherche de complétude pour pallier cette mort. Une forte émotion sort de cette dissociation du destin collectif, car, incapable de vouloir, de désirer, il reste un personnage contradictoire, presque trop profond pour exister.
Il connaît l’expérience de la mort, mais a-t-il vécu celle de l’amour ? Le narrateur a pris ses galons de l’amour comme une figure imposée. Un amour pour les garçons qui obéit à la proéminence du temps. Mais il n’y a pas de moments d’amour, l’amour est immédiatement passé.
Il a le sentiment très tôt que la vie est finie, et c’est peut-être cela qui rend sa vie intéressante. Pour lui, seule la question du sens se pose. Très jeune, le narrateur a cette qualité de gravité, que certains d’entre nous ne connaitront jamais. Il pense que seul ce qui n’existe plus existe.
Ce personnage voit des cadavres à travers tous et à travers lui-même. Tout lui est passé. Les amours demeurent rétrospectives. Le présent n’existe pas. Il est mouvance. Tout est mort. En lui porte les échos de toutes les générations derrière lui. Cela l’empêche d’exister. On a trop vécu pour qu’il vive.
Alors on écrit parce que d’autres se sont tus. Il pare au vide avec le langage. Si sa langue est aussi baroque, c’est qu’il n’a pas encore dégrossi, dilapidé la vie. Il s’adonne à la projection sans cesse par les mots. L’existence et lui sont des mondes séparés. Il pointe la tension entre les mouvements, des mots, de l’espace, et la fixité, du tableau et du pictural.
A sa mort, on peut alors se demander si la vie qui a cessé d’être rejoint celle qui a été atteinte ? A la toute fin, les mots sont tristes comme un caprice d’enfant et des regrets d’adultes. Mais si le langage et l’existence ont fonctionné comme des univers hermétiques, ils se rejoignent finalement comme un ravissement, une réunion entre mots et intériorité.
Parce que l’écrivain, revient toujours au même point, au germe de sa pensée, de sa conscience. Et il nous aura, entre-temps, remués, ravis, rassemblés.
Peu importe l’estampille qu’on pourra apposer à ce premier roman, peu importe ce qu’on cherchera à dire sur l’écrivain, ce livre est avant tout un ovni venu d’un univers infiniment mélancolique. Magnifique.
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