Le nom de Pergaud s'associe directement à La Guerre des Boutons, roman de ma douzième année (Septembre 1912) dont les adaptations cinématographiques sont certainement plus célèbres que le roman: 1936 par J. Daroy, 1962 par Y. Robert et en 2011 par Yann Samuell et enfin C. Barratier. Les lecteurs connaissent probablement de Goupil à Margot qui obtint le prix Goncourt en 1910. Je vous propose aujourd'hui de découvrir Les Rustiques, Nouvelles Villageoises, recueil de nouvelles publié de façon posthume en 1921.
Le 01/02/2015 à 09:00 par Les ensablés
Publié le :
01/02/2015 à 09:00
Par Elisabeth Guichard-Roche
Les dix neuf courtes nouvelles dépeignent des scènes de la vie rurale en Franche-Comté, avant la guerre de 14. Les héros sont de simples paysans: chasseurs malhabiles, femmes dures à la peine, amis de la dive bouteille, enfants joueurs et malins...Pour arrière plan, la campagne, la vie rurale rythmée par les saisons, les surnoms imagés, les odeurs de soupe, les commérages de village renforcés par une vie souvent limitée aux confins du canton. Au fil des pages, des thèmes communs émergent:
La revanche avec deux textes truculents la vengeance du Père Gourgeot et, l'un de mes favoris, un petit logement. Arsène Barit dit Cacaine cherche un logement : à la saint Martin dernière, qui est l'un des deux termes de l'année paysanne, son propriétaire, Ferréol Tournier, l'avait, sans façons aucunes, prévenu qu'il en avait assez d'un locataire aussi mauvaise langue que lui et qu'il eût à songer à prendre ses cliques et ses claques pour les 25 Mars prochain. Sûr de lui, Cacaine découvre peu à peu que les villageois partagent l'opinion de son propriétaire et ne parvient pas à trouver de gîte. Il quitte le village au soulagement de tous, pour chercher un toit ailleurs. En fait, il a fomenté sa revanche: un mois plus tard coliques et vomissements s'emparent des villageois. Cacaine a trouvé son dernier petit logement: Eh bien! T'as de salauds, je vous l'avais pourtant prédit! Je l'ai trouvé tout de même, mon petit logement, et je vous emm...!. Devinez-vous où il a élu domicile?
Les élections certes démocratiques mais empreintes d'influences voire de marchandages comme l'illustre deux électeurs sérieux et les retrouvailles: Conformément aux principes et à l'expérience acquise, ils ne votaient qu'à la dernière minute, profitant jusqu'au bout des offres libatoires des champions des deux camps. On découvre avec amusement le salaud qui vote et trahit au dernier moment ou celui qui, tellement ivre, ne se réveille qu'après la clôture du scrutin.
La religion qui, en dépit de la loi de séparation de l’Église et de l’État (1905), est encore très présente comme l'illustre l'importance du curé. Il apparaît un peu hypocrite dans l'argument décisif mais avec une force rustique et imagée dans le sermon difficile. Ne sachant comment expliquer à ses paroissiens que les jeunes filles du village sont en risque dans les prés, il prépare son sermon autour de la métaphore savoureuse du pique nique. Afin de ne pas se salir dans l'herbe, la fille relève jupes et jupons: Eh bien, scanda-t-il, frappant à grands coups de poing le bord de la chaire, eh bien! mes frères, oui, oui, eh bien! Le garçon, le garçon fait sauter la nappe, fait sauter la nappe, vous m'entendez, et il grimpe sur la table...
Les disparitions courtes mais angoissantes qui constituent le thème central du retour et de la disparition mystérieuse. Dans ces deux nouvelles, le conjoint abandonne son foyer subitement et sans explication durant plusieurs jours afin de s'accorder un répit copieusement arrosé. Pendant que les femmes se morfondent, les hommes du village se rassemblent pour le rechercher et retrouvent finalement le fugitif sain et sauf.
La place de la femme active et laborieuse, au service de son homme tout en conservant lucidité voire un certain cynisme à l'égard du mari: Comment, vous n'avez pas eu le temps! Mais vous vous êtes mis à table à midi sonnant et vous n'en avez pas bougé depuis. Ça fait bientôt un tour d'horloge. De même dans la revanche du père Jourgeot, Julie tient la maison de son vieil époux au carré tout en entretenant une vie parallèle: Sa Julie? Quelle brave femme, et que vaillante a la besogne! C'était elle qui assumait dans la maison les travaux de l'homme que sa vieillesse lui eût rendu difficile. Les battues qui mobilisent les hommes du village à la recherche du Rouge- soupçonné d'avoir abusé d'une fillette-, de Mousse qui a quitté son foyer, de la Vouivre- un animal légendaire-, de Jacques Mirandot disparu en raccompagnant son ami.
La guerre de boutons d'Yves Robert
Ce recueil est aussi l'occasion de retrouver avec plaisir la bande de Laguerre des boutons: Lebrac, Camus, Tintin, Lacrique, Grandgibus... et leurs 400 coups jaillis d'une imagination débordante où ficelles et bouts de bois se transforment en outils incroyables. Je vous conseille la traque au nid où Tintin, bravant l'interdiction paternelle ramène à la maison trois oiseaux: Le père lui tomba dessus et, pour lui apprendre l'obéissance et le respect des nids, l'obligea à tordre le cou à ses malheureuses victimes qui tournaient déjà de l'œil, à les plumer, à les vider, à les barder de lard, à les cuire lui-même et à les manger pour son souper.
Les histoires truculentes, les scènes de la vie rurale, les paysans attachés à leur terre m'ont rappelé les récits d'Henri Pourrat, de Jean Anglade même si la période et le terroir diffèrent. En dépit de certaines phrases un peu longues, j'ai apprécié le style de Pergaud. Je n'ai pu m'empêcher de penser aux dictées où les ajouts de propositions relatives et la richesse de la ponctuation sont autant de pièges dans la recherche des accords en genre et en nombre! D'aucun (André Billy en 1912) ont d'ailleurs critiqué ce style: M. Pergaud est en progrès. Il semble écrire moins mal depuis qu'il a renoncé à bien écrire. Je trouve le propos excessif et avoue avoir goûté les descriptions: Dans l'air rafraîchi où une impalpable brume se condensait en rosée, les bêtes levèrent leur mufle humide et, dociles à l'invite de leur gardien, gravirent le coteau pour reprendre, par la saignée pratiquée dans le petit bois qui délimitait en haut leur pâture, le chemin de terre bordé de haies vives aboutissant au village. Enfin, comme dans la Guerre des Boutons, j'ai succombé à ces mots raccourcis ou déformés: ça tire ça tire (satyre), la fronde à lastiques, pasque (parce que).
Louis Pergaud est né dans le Doubs en 1882. De 1898 à 1900, il est élève à l'Ecole Normale. A dix huit ans, il est pupille de la nation. Il fait la connaissance du poète Léon Deubel ( 1897- 1913 année où il se suicide) qui sera son mentor. En 1901, Pergaud est instituteur dans un petit village du Doubs. Il se marie en 1903 avec Marthe, institutrice dans un village voisin. Un an plus tard, ils ont une petite fille qui décède à l'âge de trois mois. La même année, il publie son premier ouvrage, l'Aube,un recueil de vers. Fin ou intermède de la période noire. En 1907, il quitte son épouse, abandonne provisoirement l'enseignement et monte à Paris. Sa maîtresse, Delphine Duboz, le rejoint quelques mois plus tard. En 1908, paraît son second recueil de vers L'herbe en Avril. Il écrit alors en prose des histoires de bêtes qui deviendront de Goupil à Margot, Goncourt 1910. Il épouse Delphine et réintègre l'enseignement. Pour reprendre le propos d'Hervé dans son article sur Raymond Guérin, ce travail alimentaire lui pèse: "Mon métier de chien m'épuise; parti le matin à 7 heures, je ne rentre guère qu'à cinq heures un quart, éreinté au-delà de toute expression. C'est à Maisons Alfort que j'opère maintenant avec 75 gosses qui ne savent pas assembler deux lettres!". La Guerre des Boutons sort en 1912, le Roman de Miraut, chien de chasse, un an plus tard. 2 Août 1914, mobilisation générale: Pergaud dépose le manuscrit des Rustiques chez son éditeur. Il laisse également un texte inachevé Lebrac bûcheron, la suite de la Guerre des boutons. Il disparaît dans la boue de la Meuse, dans la nuit du 7 au 8 Avril 1915. En recevant la cantine militaire de son mari, Delphine trouve le Carnet de Guerre. Publié en version intégrale en 1994 par l'association des Amis de Louis Pergaud, Carnet de Guerre a été édité en 2011 par le Mercure de France. Ce texte court et émouvant, n'est autre que son journal décrivant la vie au front: les corvées, l'arrivée des lettres et des colis, l'ennui, la peur, la bouffe, les coups bas et les amitiés et toujours cette pensée et inquiétude pour les proches de l'arrière. Les phrases sont courtes, percutantes, saccadées, inachevées parfois... Au rythme des salves d'obus: " On a relevé les blessés.quelques-uns gisent encore entre les lignes avec des tas de morts. Le service d'évacuation a fonctionné normalement. Le bombardement cesse. Le soir nous gagnons P2 Sud, nos anciennes tranchées. Nuit calme".
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