Apparemment, ces derniers temps, je me fais un peu trop rare dans les colonnes d’ActuaLitté. Reproche accepté, mais j’ai une excuse sinon des circonstances atténuantes. J’ai lu, lu et encore lu. Les titres chroniqués, les auteurs qui passent à la télé, les lauréats des prix de septembre, les révélations, les déceptions, les primo-romanciers ; ma corne est épuisée et mes yeux cernés ; que de nuits blanches et de réveils difficiles pour dénicher la petite perle qui ferait chavirer mon cœur et donne l’envie de donner envie.
Le 02/10/2017 à 07:15 par La Licorne qui lit
Publié le :
02/10/2017 à 07:15
Je ne vais pas mentir, ce fut laborieux, interminable, voire désespérant. Pas tant que les livres que j’ai eus entre les pattes aient été mauvais — et comme vous le savez, je ne dégomme pas les auteurs, ils écrivent, c’est déjà beaucoup — non, mais rien de bouleversant, de surprenant, de licornesque. J’ai même pensé une seconde à arrêter de lire ou à me replonger dans un bon vieux Balzac. (cf article sur j’en ai marre de lire). Au moment où j'allais renoncer à cette rentrée, le fameux griffon (voir ma précédente chronique) m’a délicatement déposé sur le rebord de mon moelleux nuage un petit livre, en me précisant : « C’est pour les enfants, enfin, non, c’est pour toi, c’est tellement joli. ».
Bien que les griffons ne soient pas les créatures légendaires les plus fiables, ils possèdent, allez savoir pourquoi, une érudition littéraire assez impressionnante. Et mon griffon à moi a dit vrai : Dans la forêt d’Hokkaido, c’est tellement joli, tellement juste, tellement ce que j’attendais. Alors oui, Eric Pessan met en scène des enfants, une jeune fille française et un petit garçon japonais, irrémédiablement liés — ou devrais-je dire lié sans s, l’auteur ayant dérogé à certaines règles pour retranscrire la symbiose de ces deux enfants pourtant situés à des milliers de kilomètres l’un de l’autre. Alors oui, il s’agit d’enfants, mais il s’agit d’enfants qui donnent l’exemple aux grands.
Julie se réveille en hurlant un samedi matin. Julie a le souffle court, le cœur qui bat et les mains qui tremblent. Elle a rêvé, elle a rêvé qu’elle était un petit garçon perdu dans cette forêt d’Hokkaido, elle a rêvé qu’ils avaient froid, qu’ils avaient faim, elle a rêvé qu’ils étaient seul(s) et abandonné (s). Julie, elle, n’abandonnera pas. Elle décide d’aider le garçon égaré, de le guider, de les sauver. Ils survivront, ensemble, Poids Plume — surnom affectueux donné à Julie par son grand frère — n’a pas le choix. Dès qu’elle trouve le sommeil, elle entre en communion avec le garçon laissé au bord de la route par ses parents « comme un chien dont on se débarrasse avant de partir en vacances », sans doute parce qu’il n’a pas été assez sage…
Je crois que nous avons tous un jour entendu notre maman ou notre papa proférer la menace suivante « si tu n’es pas gentil je te laisse là », punition rarement mise en œuvre, heureusement. La crainte de se retrouver seul oblige bien souvent les enfants à cesser leurs caprices et avaler leurs épinards. Le visionnage quotidien de ma série télévisée préférée, Punky Brewster, a incontestablement accru mon angoisse. Si, si souvenez-vous, les couettes, les converses et les chaussettes dépareillées, laissée par sa maman au milieu d’un supermarché et recueillie par le vieux Henry Warnimont. Je fus d’ailleurs victime pendant quelques années d’une légère phobie de la grande surface…
Dans la forêt d’Hokkaido n’est pas uniquement une histoire d’enfants pour les enfants. C’est une histoire d’humains pour les humains. En ces temps où nous avons tendance à oublier le sens du mot humanité (même constat pour ma licornité, passablement escamotée par les rivalités et dissensions célestes), Julie, en éprouvant les émotions d’un inconnu, en souffrant avec lui, en étant prête à mourir pour ne pas l’abandonner encore une fois, rebâtit des passerelles et retisse des fils que la cruauté et la misère contemporaines cassent et détruisent.
Car il n’y a qu’un enfant, encore innocent et épargné de certaines réalités, qui possède la capacité de se mettre à la place de l’autre, absolument, sans peser le pour et le contre. Il n’y a qu’en enfant qui ose poser les questions qui font mal : « (…) comment on fait quand on est père ou mère pour abandonner son fils au bord d’une route… Comment on fait pour battre son enfant ? Comment on peut l’insulter, l’humilier, l’avilir à ce point ? (…) Pour ma part, je ne comprendrai jamais les raisons qui font qu’un adulte maltraite un enfant. Et j’espère bien n’être jamais en état de comprendre. » Et, il n’y a qu’en enfant qui n’oublie jamais que « la joie est la plus belle des réponses aux questions inquiètes que pose le monde ».
Ces deux petits anges inventent leur humanité, basée sur la générosité, l’empathie, le don et l’oubli de soi : « Avec lui je tresse un nous. Nous sommes deux dans un seul corps. » Peu importe leur lieu de naissance, leur langue, leur couleur, ils sont pareils, ils se comprennent. Vous me pardonnerez cette dernière phrase, facile, naïve et quelque peu « concours Miss France », mais il est parfois nécessaire de rappeler certaines données élémentaires, et ce que fait admirablement Eric Pessan, poétiquement, simplement, sincèrement.
Dans son combat pour la vie, Julie s’inspire de son père, qui lui aussi a opté pour l’humain, en accueillant trois jeunes réfugiés érythréens expulsés de leur lieu d’accueil, qu’il refuse de laisser à la rue, au bord de la route… Prendre le parti de ceux qui sont dans la difficulté et ne pas sacrifier les faibles, nous avons l’obligation de préserver le peu qu’il nous reste d’humanité et de licornité. « Avec un peu de compassion, on peut se mettre à la place de n’importe qui, cela ne nous fait pas ressentir pour autant la profondeur de ses blessures. » Néanmoins, cela nous permet d’entendre ses pleurs.
En cette période qui a vu le retour des saluts nazis, le massacre d’une minorité vivant sur le territoire d’un État dirigé par une Prix Nobel de la Paix et des cyclones dévastateurs et meurtriers, principale conséquence des dérèglements que nous avons collectivement causés, je vous en conjure, lisez ce livre. Vous redeviendrez un enfant au fil des pages, ce qui, au final, fera de vous un adulte meilleur.
Dernière requête, gardez espoir et croyez en votre étoile, car pour citer les jolis mots de Julie, le monde vous apparaîtra moins violent si vous pensez qu’un ange gardien veille sur vous. Je crois avoir trouvé le mien : il est loin aussi, mais il est là, et sa main invisible a promis de ne pas lâcher la mienne. Je reviens vite, promis !
Eric Pessan – Dans la forêt d’Hokkaido – L’école des loisirs – 9782211233668 – 13 €
Paru le 30/08/2017
144 pages
L'Ecole des Loisirs
13,00 €
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