#LabelEmmaus - Juillet 2016, Maud Sarda co-crée la coopérative Label Emmaüs. Décembre de la même année, la Marketplace est lancée. L’ambition de celle qui est aujourd’hui la directrice générale de l’initiative sociale et solidaire ? Par l’entremise de la vente en ligne, contribuer à l’insertion professionnelle de personnes en difficulté. ActuaLitté a eu l’opportunité de découvrir le quotidien de ces travailleurs aux parcours hétéroclites, qui officient dans l’entrepôt de Noisy-le-Sec, inauguré fin 2017.
Le 03/11/2023 à 16:00 par Hocine Bouhadjera
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03/11/2023 à 16:00
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Avec cette plateforme, Label Emmaüs lançait son activité logistique. « C’est dans l’ADN d’Emmaüs de s’appuyer sur une seconde vie des produits pour donner une seconde chance aux personnes qui sont accueillies chez nous », décrit Maud Sarda. L’intention de la structure au statut d’entreprise d’insertion : offrir des compétences tangibles dans des secteurs en tension.
Le profil des salariés : des personnes considérées comme ayant des difficultés d’accès à l’emploi par des prescripteurs sociaux comme Pôle emploi ou les missions locales, qui auront pu connaître une longue période de chômage, qui bénéficient de minima sociaux, ou encore reconnu comme travailleur handicapé : « Des éléments qui sont pleins de talents, qui ont des ambitions professionnelles, et qui ont besoin qu’on leur fasse confiance, d’être dans un cadre où on va les accompagner sereinement vers un projet personnel », présente la directrice du Label Emmaüs.
La coopérative est ainsi devenue « vendeur parmi les vendeurs » grâce à ce premier entrepôt logistique, avec ses propres stocks de produits, en majorité des livres. Ces ouvrages proviennent de la région d’île de France, en circuit court, issus des dons des particuliers faits dans des ressourceries ou des Emmaüs, qui n’on pas réussi pas à trouver preneur : « Chaque année, on estime à trente millions le nombre de livres récupérés par le mouvement Emmaüs, c’est gigantesque », rappelle Maud Sarda.
L’occasion pour cette dernière de redire que près de 25% des livres fraîchement édités sont mis au pilon sans même avoir été vendus… Inscrivant également la démarche de Label Emmaüs dans un engagement environnemental.
Parmi les huit employés actuels de l’entrepôt de Seine-Saint-Denis, Ibrahim, résident de Pantin et salarié du label Emmaüs depuis 1 an et demi, et Malika, qui depuis un an quitte chaque matin son habitation de Bagnolet pour se rendre à Noisy-le-Sec. Tous deux ont trouvé cet emploi par l’entremise de la mission locale.
Le jeune et timide Ibrahim a connu une première expérience de caissier à Monoprix, après avoir suivi des études de commerce en lycée professionnel, quand pour la solaire Malika, c’est une première expérience professionnelle à un âge avancé. Elle nous confie : « J’ai dû trouver un travail après le décès de son mari. Au moment où j’ai mis les pieds à l’entrepôt pour la première fois, je ne connaissais rien. » Elle est par ailleurs enthousiaste : « J’ai déjà appris beaucoup de choses ici, que ce soit avec les responsables et les collègues. On travaille en équipe et on s’aide entre nous. Arrivée à ce stade-là, je sens que les responsables sont satisfaits de ce que je fais. »
Des journées qui débutent à 8h15 et s’achèvent à 16h, avec deux pauses de 15 minutes et une troisième pour le déjeuner. L’entrepôt réceptionne continûment des bacs de livres; il faut alors trier, scanner l’ISBN, et choisir de les mettre en ligne ou pas. Les critères ? « On va garder seulement ceux qui sont en très bon état, ou faire attention qu’il n’y en ait pas trop d’un titre en particulier, car entre en jeu la question des capacités de stockage », explique Maud Sarda. Les ouvrages qui passent cette première étape reçoivent une référence avant d’être rangés en fonction dans les rayonnages : « On arrive à sauver quasiment un livre sur deux », ajoute la directrice. 350.000 ouvrages sont stockés dans l’entrepôt, conservés au moins un an.
Afin de les former à toutes les missions d’un opérateur e-commerce polyvalent, intitulé de leur poste, les employés tournent en permanence entre les différentes missions. Le matin, il faut gérer les commandes qui ont été réalisées la veille : faire du picking, chercher les livres, faire les emballages, et enfin envoyer les colis : « Généralement, le lundi est le jour où il y a beaucoup de commandes, où on pourra être bien occupé, sinon les autres ça va, on arrive à gérer », nous partage Ibrahim.
Malika se permet d’apporter un petit bémol qui dissimule un compliment à son collègue, comme un charmant orgueil : « Aussi, tout dépendra de la personne. Comme Ibrahim a de l’expérience, il pourra faire plus de choses. » Faire gagner en confiance ses employés, voilà un des principaux objectifs de Label Emmaüs.
Outre la gestion des commandes, Ibrahim, Malika et les autres doivent également s’occuper du service après-vente (SAV), « qui est la partie la plus dure », selon Malika. « Elle est en formation SAV, c’est pour ça qu’elle dit ça », réagit Ibrahim avec humour, qui lui est souvent assigné à cette mission. Il préfère néanmoins, comme sa collègue, la partie gestion des commandes.
Favoriser la confiance, c’est par ailleurs offrir une autonomie importante aux salariés : « On ne sent pas la hiérarchie », assure Malika. Une affirmation confirmée par son camarade : « On peut gérer tout seul, il n’y a pas de soucis là-dessus. Et si on fait des erreurs, ils nous le disent avec simplicité et souplesse. »
« Ils sont ici pour apprendre à bien s’insérer dans un cadre de travail, savoir-être et savoir-faire, mais aussi pour développer leur propre projet », complète Maud Sarda. Ils restent au maximum deux ans chez Label Emmaüs : « Le problème qui se pose, c’est qu’on s’habitue, et c’est à chaque fois difficile de voir des personnes qui s’en vont régulièrement », relève Malika, et de continuer : « Mais bien sûr, ça donne l’opportunité de trouver ailleurs, d’avancer, de permettre des expériences futures. »
« Je dis toujours, c’est comme un enfant qui commence à marcher, faire ses premiers pas. Label Emmaüs, c’est le début pour moi. J’ai ma première famille qui sont mes enfants, et ici, c’est ma deuxième famille. »
- Malika
La directrice de la plateforme depuis 4 ans - Bérénice Sizaret -, dit « Madame Livre »,, après s’être occupée des relations BtoB dans le secteur spécifique de la location de meuble, prouve, en chiffres, le succès de la coopérative Label Emmaüs : « On a un taux de sorties positives — retour à une activité, début d’une formation qualifiante, voire même création de sa propre activité -, entre 75 et 85% selon les années ». « C’est un super taux », se réjouit Maud Sarda. Pour ce faire, les employés sont accompagnés par un Conseiller en insertion professionnelle (CIP), qui les épaulent sur leur projet de l’après Label Emmaüs.
« On en a deux qui sont partis travailler pour le site en ligne qui vend des produits bio, la Fourche par exemple », illustre la responsable communication de Label Emmaüs, Anne- Sophie Tournadre. Plus globalement, une bonne partie des structures partenaires du 93, toutes inscrites dans l’Économie sociale et solidaire (ESS), accueillent régulièrement des personnes recommandées par Label Emmaüs.
L’État, qui conventionne l’initiative dirigée par Maud Sarda pour aider ces personnes, exige 60% de sorties positives : « Ça montre que le pari du numérique fonctionne. Les compétences dans ce domaine font vraiment la différence aujourd’hui », analyse la directrice et co-créatrice du projet. Bérénice Sizaret témoigne en outre d’une évolution dans les profils reçus ces derniers mois : plus de personnes avec des difficultés en langue française ou des femmes seules avec enfant à charge.
En parallèle, après avoir déménagé ses bureaux dans un autre site de Noisy-le-Sec, Label Emmaüs lance une nouvelle activité : la coopérative met à disposition une cinquantaine de mètres carré, avec décoration 100% Emmaüs, à destination des structures ou entreprises, soit pour leur Team-building et autres journées d’Incentive, soit pour organiser des journées solidaires : « Les personnes pourront découvrir notre activité en travaillant avec notre équipe en binôme sur des tâches très opérationnelles, comme la préparation de commande », présente Bérénice Sizaret.
Dans ces journées sont par ailleurs organisés des temps d’échange pour construire des passerelles entre la structure accueillie et Label Emmaüs, « puisque l’objectif, c’est que les personnes qu’on accompagne ici, puissent, à la sortie, trouver un emploi pérenne », rappelle Bérénice Sizaret. Elle développe : « Il faut dénicher des ambassadeurs de ce que l’on fait, que ce soit pour communiquer sur ce que l’on réalise au quotidien, mais aussi pour façonner des liens avec des structures qui peuvent recevoir des salariés de la plateforme. »
Maud Sarda, co-fondatrice de Label, revient sur son engagement auprès d’Emmaüs : « J’ai d’abord commencé dans des associations humanitaires quand j’étais étudiante. J’ai toujours voulu faire ça », nous confie-t-elle. Cependant, il a fallu financer l’école de commerce… « Payer le prêt étudiant, donc je suis allée sagement travailler au cabinet de conseil Accenture, pendant cinq ans, le temps de le rembourser. » La dernière mensualité réglée, elle est alors partie dans le secteur auquel elle aspirait « depuis toujours ».
Un secteur ou plutôt un mouvement, et pas n’importe lequel, celui initié par l’abbé Pierre donc. D’abord salariée d’Emmaüs France, qui est la tête de réseau qui chapeaute les quelque trois cents structures qui la composent, elle a officié sur les fonctions support pour soutenir les initiatives un peu partout sur le territoire, avant de créer Label Emmaüs. À présent, le projet regroupe deux entrepôts logistiques, dont un second situé dans le Lot-et-Garonne, mais aussi une école du numérique inclusive à Noisy-le-Sec.
Au début de la Marketplace, il n’y avait que des acteurs issus du mouvement Emmaüs. Petit à petit, ils ont été rejoints par d’autres revendeurs tiers de l’ESS : « Aujourd’hui, ce sont 170 associations et coopératives qui vendent sur la plateforme — des ressourceries, des recycleries, des structures de la croix rouge… -, c’est l’économie sociale et solidaire au sens plus large désormais », résume Maud Sarda.
Des structures Emmaüs partout en France, motivées par l’opportunité que représente la plateforme, se sont progressivement mises à mettre en ligne une sélection de leurs objets sur le site label-emmaus.co, ce qui a fait grossir le catalogue avec le temps.
À son lancement en 2016, 3000 produits étaient proposés sur la plateforme web, à présent 2,3 millions…, « donc c’est une très importante progression en sept ans » : « Ce qui a beaucoup grossi, c’est notamment notre catalogue livres », affirme la directrice de Label Emmaüs.
La majorité du catalogue présente des titres proposés pour la modique somme de 2 €, mais aussi des ouvrages rares ou côtés : « On a vendu des livres jusqu’à 2000 €. Je peux vous assurer que les collectionneurs nous connaissent bien… », atteste Maud Sarda. C’est enfin des frais de port qui pourront se borner à 3 euros en cas d’achat de toute une commande auprès d’un même vendeur, qui pourra être Label Emmaüs lui-même.
Tous les marchands inscrits sur la plateforme doivent adhérer à l’économie sociale et solidaire : « On ne pourra pas accepter tous les marchands d’Amazon au vue de nos critères éthiques, mais certainement que beaucoup de structures pourraient proposer leur offre sur le label Emmaüs si leur mission est sociale et/ou éco-responsable », selon Maud Sarda.
Au sujet du géant façonné par Jeff Bezos, cette dernière développe : « On reproche beaucoup de choses à des modèles comme celui d’Amazon, mais un point qui n’est pas souvent mis en avant, c’est que ce géant est en train d’essorer complètement les marchands tiers qui font du commerce sur son site. Jusqu’à 50% de commission leur sont demandés. En 2016, donc il n’y a pas si longtemps, ce taux était de 36%. »
Elle ajoute : « Dans les faits, plus ils ont un monopole, plus ils facturent les vendeurs qui, de toute façon, ne peuvent plus faire autrement que de passer par ce canal. Comment en sont-ils arrivés à ce monopole ? En réalisant une série de levées de fonds pour compenser un déficit extrêmement assumé. Pourquoi ? Parce que ce sont des livraisons gratuites, en quelques heures… Ils ont fait du dumping économique et ont détruit la concurrence de cette manière. »
Face à cet état de fait, « on est aussi dans une alternative à des pratiques de ce type », affirme Maud Sarda. En termes de facturation auprès des marchands de la Marketplace, c’est 6 à 12% du prix, hors taxe, hors frais de port, « ce qui est vraiment atypique, très faible, et on n’a quasiment jamais fait évoluer nos tarifs », décrit la directrice, et de continuer : « En outre, nos marchands sont sociétaires de la coopérative : ils partagent le pouvoir avec nous, et ainsi co-construisent la Marketplace avec nous. C’est donc toute une approche qu’on porte, et toute une réflexion sur toute la chaîne de valeur. »
Enfin, la dimension écologique est centrale dans le modèle de Label Emmaüs, mais là encore, le credo se distingue : « On prône une économie circulaire qui soit cohérente à tout point de vue, car pour nous, la circularité, c’est à la fois de la seconde, main locale, et qui est vendue seulement en France. »
Maud Sarda le constate avec regret : « Il y a beaucoup de plateformes numériques aujourd’hui spécialisées dans la seconde main qui voyagent dans le monde entier, aussi bien en provenance qu’en destination… Même si c’est déjà très bien, en vérité, ça ne suffit pas. » Les pratiques vertueuses de Label Emmaüs passent en outre par 80% d’emballages récupérés, et favoriser le point relais pour mutualiser les livraisons.
Maud Sarda conclut : « On y associe enfin l’impact social : que ça serve la montée en compétences de personnes qui ont des difficultés à trouver du boulot dans notre société, et un troisième pilier, qui est le partage. Nous sommes organisés en coopérative, ce qui n’est pas anodin : il y a un partage du pouvoir, avec une personne égal une voix, quel que soit l’argent qu’on a pu avoir mettre au capital de la coopérative. Aucun sociétaire n'a plus de poids qu’un autre. Et puis, il y a un partage de richesses, parce que ce sont 100% des bénéfices qui sont reversés dans le projet. »
Crédits photo : Malika et Bérénice Sizaret. ActuaLitté (CC BY-SA 2.0)
DOSSIER - Chez Label Emmaüs, des livres à petits prix et de la solidarité
3 Commentaires
Félicité
04/11/2023 à 07:56
Pourquoi mettre en photo une fois de plus une femme voilée ?
En tant que femme ayant connu l' émancipation féminine cet étendard signe de soumission au m1chisme islamisme me choque. . J' embauchées des femmes musulmanes mais qui.ne font pas passer leurs loi " religieuse " avant les lois et comportements du pays qui les accueillent. Bonne journée
Le concombre masqué
04/11/2023 à 10:24
Le troll est un entraînement de tous les instants, mais 7h56 un samedi matin, je vous tire mon chapeau.
NewParadigm
04/11/2023 à 17:39
Votre question à propos de cette femme voilée donnée en modèle est tout-à-fait pertinente mais la réponse est non seulement dans la signature mais surtout dans le texte (logorrhéique comme souvent cet auteur) : « vertueux » ! Cet article, son auteur, son récit, les personnes interrogées, les intervenants, leur association et les lecteurs, forcément, sont VERTUEUX !