#FetedulivredeSaintEtienne23 – Il était un peu plus de 14 heures lorsque le TGV en provenance de Bruxelles s'immobilisa en gare de Lyon Part-Dieu. Les voyageurs, pressés et fatigués, se hâtaient de récupérer leurs bagages et de quitter le train. Parmi eux, une silhouette familière émergea, celle d'Éric-Emmanuel Schmitt, l'écrivain et dramaturge de renom. Enfin, presque. Mais qu'importe...
Le 14/10/2023 à 09:07 par Nicolas Gary
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Publié le :
14/10/2023 à 09:07
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Parrain de la 37e Fête du livre de Saint-Étienne, juré du prix Goncourt, marcher aux côtés d’Éric-Emmanuel Schmitt revient à s’arrêter tous les dix mètres, quand un lecteur l’interrompt. « Je me souviens… », « Vous aviez signé ce livre… », « Nous nous sommes rencontrés à Istanbul… »
Avec la même générosité, le romancier prend le temps de quelques mots : « J’adore être enfermé dans un train », reconnaît-il, fraîchement débarqué de Belgique. « Être reconnu, arrêté dans la rue ou dans un wagon, c’est un problème lié au succès : comment s’en plaindre ? En revanche, c'est plus délicat quand on est avec des proches, de la famille : les lecteurs, sans le vouloir, nient l’existence de ces gens qui sont avec vous, pour profiter leur auteur. »
Et nous voici entrés dans la voiture de Catherine, qui nous transporte vers Saint-Étienne : un voyage improvisé, pour elle comme pour nous. Il aura fallu une blessure handicapant le chauffeur originellement prévu, et notre trio s’embarque vers la cité stéphanoise.
La route défile. Les collines du Forez se dessinent à l’horizon, et le paysage change peu à peu.
Sur le trajet, on parle à bâtons rompus : le prix Goncourt, dont il ne dira évidemment pas un mot, et espiègle, d’ajouter : « J’en fais partie par erreur. Comme je n’ai aucune aspiration à en devenir secrétaire ou président, tout le monde m’aime et chacun me parle. J'ai un rôle diplomatique ». Bien loin de querelles de clochers ou claniques, il évolue avec distance.
« J’aime lire, mais c’est un rôle épuisant, autant qu’une grande responsabilité. Mais quand j'ai dû choisir, j'ai préfèré l’Académie Goncourt à l’Académie française : chez les seconds, on parle de soi, chez les premiers, on parle des autres. » Et qui sait ce que l’on peut lire sous la Coupole… « Mais surtout, il est plus agréable de déjeuner à 10, qu’à 40. » Implacable.
Bouquinant à mesure que la voiture avale les kilomètres, nous l'interrompons dans son livre, de temps à autre : il retire ses lunettes et sourit : « Les obsessions font la carrière d’un auteur… mais elles constituent aussi ses limites », lance-t-il. Ah ? Et quelles sont les siennes alors ? « Moi, je suis un curieux compulsif… un curieux encyclopédique : je m’intéresse à 1000 choses et cela me permet de noyer mes obsessions. »
La route avance, quelques mises au point s’imposent, de la logistique, une remise de prix, une soirée d’inauguration… « Tout me convient : les lecteurs d’abord, l’horaire du train ensuite. Pour le reste, aucune importance. » Et voici que l’on parle de littérature et de souffle. « En Terminale, j’ai fait un exposé sur Saint-John Perse : après une heure et demie, je n’avais abordé que les six premiers versets de Exil. Quelle langue splendide ! Quelle maîtrise ! »
Et sans la moindre préciosité, une richesse de vocabulaire et de sons : ça me plaît d’avoir ça en commun avec EES. Ou me flatte. Alors je reste silencieux.
Lui-même avoue modestement que la maturité seule apporte le style et la maîtrise de son outil. « Depuis mes premiers textes, je travaille à une écriture qui prend l’autre en considération, ne lui impose rien. Et si cela semble facile, je vous assure que ce sont des années d’apprentissage. » Une apparente simplicité qui en dit long sur ce que signifie ce lien avec les lecteurs. D’ailleurs, arrivant à 15 h 45, il prendra tout juste le temps de poser son bagage à l’hôtel : il a rendez-vous à 16 h pour dédicacer. Pas question d’être en retard.
Nous voici presque parvenus à destination : le temps de raconter comment ses horaires sont rythmés… par la chienne qui vit avec lui. À 17 h, chaque jour, cesser toute activité, pour profiter d’une promenade tous les deux afin de couper le rythme et de profiter de cette présence. Laissée à Bruxelles, « elle s’installe dans ma valise quand je la prépare », s’amuse le romancier.
Installé à l’entrée des chapiteaux, le voici immédiatement entré en relation avec les visiteurs : les livres s’ouvrent, le stylo crépite, les remerciements, les mots, les attentions. Toujours attentif. Impossible d’imaginer que 20 minutes plus tôt, nous étions encore en voiture, pour une heure de trajet entre Lyon et Saint-Étienne. « C’est un pro, un sacré pro », lance un éditeur présent.
Nous nous retrouvons lors de la soirée d’inauguration, à l’aise, ou presque. D’un clin d’œil, il me rappelle qu’en voiture, nous avions ri en imaginant qu’il doive remplacer au débotté Léonor de Recondo, pour sa lecture musicale, du Grand feu : ce soir, la romancière se fera violoniste, accompagnée par Elisa Joglar, violoncelliste : elles joueront Vivaldi, entrecoupant les extraits lus. Et s’il avait fallu la remplacer ? « Au piano, je pourrais, oui. Mais… ce n’est pas prévu », avait-il ri.
Le voici monté au pupitre, qui ouvre avec le plus grand.
Un jour, quelqu’un demandait à Victor Hugo, déjà âgé :
– Maître, est-ce que vous lisez ?
Et Victor Hugo a répondu,
– Est-ce qu’une vache boit du lait ?
Vous reconnaissez beaucoup d’écrivains derrière Victor Hugo ? Souvent, les écrivains ne lisent plus souvent, les écrivains ne lisent plus parce qu’ils écrivent.
Et j’étais un peu dans cet état là il y a quelques années. Il y a quelques années, je j’écrivais et je ne lisais plus, je relisais et puis tout d’un coup, j’ai reçu un coup de téléphone de Bernard Pivot.
C’est ainsi que débuta l’aventure du Prix Goncourt : « On veut que tu viennes nous rejoindre à l’académie Goncourt. On sait que l’Académie française te veut aussi. Et tu dois choisir parce que c’est ou bien ou bien », lui dit Pivot à cette époque. Il fallut alors sortir de ce confort d’écrivain qui écrit, pour redevenir l’écrivain qui lit, puis le lecteur qui lit.
« J’ai été forcé de me mettre à lire, et particulièrement justement mes contemporains, en l’occurrence mes contemporains francophones, et je dois avouer que ça a été une immense et belle surprise, parce que j’ai découvert qu’il y avait beaucoup plus de talent que je n’imaginais qu’il y avait beaucoup plus de direction d’écriture que celle que je connaissais. »
Lire, sortir de sa zone de confort, s’extraire des boucles algorithmiques qui nous enferment dans un choix, décliné à l’infini, ad nauseam, mais toujours identique.
Je crois qu’il n’y a rien de plus magnifique que ce que nous offre la perspective de la lecture, à savoir se rendre compte qu’il n’y a pas de temps de différence entre l’autre et moi quand je lis un roman japonais, je deviens japonais quand je lis un roman russe, je deviens Russe quand le personnage principal est une femme.
Je suis une femme grâce à la lecture, je peux de nouveau être un enfant, je peux changer de siècle, je peux changer de lieu, je peux, je peux changer de sexe. C’est assez pratique parce qu’à la différence de la chirurgie, c’est réversible. Donc j’ai toute l’expérience humaine qui m’est offerte.
Le romancier ne manquera pas de saluer l’implication de la ville et de tout un chacun dans cet événement qu’il parraine, La fête du livre de Saint-Étienne. « Vous faites œuvre utile. » Et d’ajouter : « Et il faut que le livre fasse événement pour que les lecteurs qui sont des solitaires tout d’un coup, aillent au-devant. D’abord des auteurs, mais au-devant aussi d’autres lecteurs. »
La fin ? Il n’y aura pas de surprise au piano, Léonor prendra bien son violon pour un moment de délicatesse et de justesse. Et chacun se rendra par la suite à la réception grignoter quelques petits fours.
En attendant le prochain voyage.
Crédits photo : ActuaLitté, CC BY SA 2.0
DOSSIER - Fête du Livre 2023 : le rendez-vous littéraire de Saint-Étienne
4 Commentaires
Ugeux Godelieve
15/10/2023 à 08:26
une autre approche, ça bouge dans un faux blabla avec de bonnes réflexions l'air de rien!
Odile Bl
15/10/2023 à 19:16
Vraiment un homme hors du commun !
rez
16/10/2023 à 11:04
rabat joie peut-être, mais convaincu que monsieur a fait 2 ou 3 choses sympa il y a quelques décennies et depuis il se contente de pondre quelques crottes pour les livres de mcdo et similaires. a cause de son nom-marque on croule sous les mauvais livres pour enfant.
bécassine
17/10/2023 à 14:44
Que du bien ! Mais ne sais plus expliquer pourquoi...!
Je redécouvre la lecture à 85 ans !