Jeu de massacre en règle : deux types en tabassent un autre, quasi à poil et ligoté sur une chaise, pendant qu’un troisième s’obstine à demander au supplicié où est planqué dont il pense qu’il a descendu pour le compte Penot, un de ses collègues flic!!!… Et évidemment, à bout de force et de résistance, l’homme finit par bredouiller une adresse.
En partant avec la voiture du Commissaire Albert Darlac, l’un des deux tabasseurs fait un carton sur celui qui croyait avoir regagné sa liberté en parlant : ceci n’a pas l’heur de plaire au Commissaire qui s’offusque de ce travail « pas propre », de « tordus », « pas du boulot d’homme ».
Dans l’hôtel miteux dans lequel ils finissent par le trouver, Crabos n’est pas reluisant : son « crabe » gagne sur lui et c’est sûr qu’il ne rechignerait pas sur un « pruneau », lui aussi, qui le ferait moins souffrir. Mais Crabos n’apprend rien à Darlac qui finira par se contenter de le jeter en gare de Bordeaux, direction l’Espagne, avec ordre de ne plus remettre les pieds en Gironde.
À l’autre bout de la ville, Daniel rejoint Norbert devant le garage où tous deux sont mécanos. Ce dernier arbore de nombreuses ecchymoses sur le visage : rentré bourré la veille au soir, comme trop souvent, son père menaçait sa mère et sa petite sœur. Alors il s’est interposé et c’est lui qui a pris en voulant les protéger. Rien à faire contre cette brute aux mains en battoir.
Daniel attend sa feuille de route pour partir en Algérie. Elle ne tardera pas à arriver. Il n’est pas opposé à cette mobilisation, comme le sont ses parents adoptifs et sa sœur dont les penchants communistes ne sont pas en accord avec cette guerre. S’il ne sait pas ce qui l’y attend, il n’est pas contre le fait d’aller là-bas pour voir par lui-même. Voir quoi ? Il ne sait pas non plus. Et même si cela l’attriste de quitter les grands yeux d’Irène, celle qui est devenue sa sœur d’adoption quand, dénoncés, ses parents ont été raflés par les flics pendant la guerre, sa mère ayant eu juste le temps de le cacher sur le toit où les voisins avaient pu le récupérer, plus tard, et puis l’adopter, plus tard encore. Parce que ses parents n’étaient jamais revenus.
Après quelques mots échangés avec Norbert, Daniel s’est mis au boulot jusqu’au moment où un drôle de type est venu au garage, le regardant avec un drôle d’air. Mais Daniel n’y connaît pas grand-chose en motos et lui a recommandé de repasser dans l’après-midi, quand le patron sera là.
Plus tard, Élise Darlac rentrait tranquillement chez ses parents quand elle s’est fait agresser par un homme qui la suivait depuis un long moment déjà : dans le bus, dans les rues… Mais rien d’autre qu’un message pour son flic de père : « Dis-lui que je suis revenu et que je reviendrai... » ! Lequel père bout maintenant intérieurement de n’avoir pas vu venir ce coup ! Lui qui, en quelque sorte, et suite à quelques revirements de chemise au bon moment à la fin de la guerre, a progressivement mis la ville à sa botte et y fait maintenant la pluie et le beau temps tenant beaucoup de monde par des moyens peu orthodoxes et certainement pas tous avouables ou recommandables ou légaux ni même autorisés dans la police. Mais l’aura du Commissaire Darlac, comme ses méthodes, lui servent de paravent.
Et il n’a pas l’intention de laisser le salaud qui a tenté de l’impressionner en brutalisant sa fille, lui pourrir la vie. Et des ficelles avec des clochettes qui tintent dès que quelqu’un les frôle, il en a de suspendues partout dans la ville...
Après une guerre, il y en a toujours eu une autre qui arrivait. Les temps actuels sont là pour nous le rappeler s’il devait y avoir un doute sur le sujet. Et les temps de guerre sont des temps troubles où les pires saloperies gangrènent les esprits et, comme pour la médisance et ses effets, il en reste toujours quelque chose.
Darlac est un flic pourri et c’est un flic qui joue sur tous les tableaux : celui de l’autorité, celui de la fange dans laquelle il se vautre sans retenue pour parvenir a ses fins dût-il, et il n’hésiterait pas à le faire, écraser tout ce qui l’entoure : amis, femme, collègues, indics, séides…
Hervé Le Corre nous plonge, avec ce roman, dans les relents nauséabonds de la fin de la guerre de 39-45 où nombreux ont été ceux qui ont gagné leurs galons de partisans sur le tard, mais aussi les relents pas beaucoup moins nauséabonds d’une guerre d’Algérie qui ne voulait pas en porter le nom (Poutine non plus ne veut pas de ce terme pour désigner son invasion de l’Ukraine !!!).
Les compromissions des uns qui n’ont pas hésité à dénoncer, à jeter leurs semblables entre les mains de tortionnaires, les débordements des autres qui ont pu déraper et devenir eux-mêmes des oppresseurs sont la matière première de ce roman (un peu long à mon goût) où l’auteur ne mâche pas ses mots dans les situations les plus sordides et n’hésite pas à entraîner ses lecteurs dans les plus sordides des travers où l’humanité perd son humanité, où les pires sentiments s’expriment sans retenue et sans voile, où le politiquement incorrect est une litote.
Dans les rues de Bordeaux qu’il connaît bien, il fait revivre une France du milieu du siècle dernier et des quartiers qu’il est bien difficile d’imaginer aujourd’hui tant la ville a modifié son apparence en faisant disparaître certains de ses lieux les plus sombres, mais aussi de nombreux petits commerces, des tas d’activités artisanales qui n’ont plus cours. Il réussit là la résurrection d’un Bordeaux révolu que rares doivent être encore ceux qui l’ont connu.
Et il fait également remonter à la surface une lie (qui n’est pas « pinardière ») dans laquelle s’est complu la ville et son administration pendant et juste après la Seconde Guerre mondiale où, visiblement, la corruption à tous les étages était un sport collectivement pratiqué. Mais je ne suis pas juge et j’imagine que ce ne fut pas le lot de la seule capitale girondine.
Le roman, bien construit, met en place très progressivement les pièces d’un puzzle qui ne se dessine qu’à petites touches. Mais en fait, comme je l’ai dit plus haut, j’ai ressenti de nombreuses longueurs : parfois j’ai eu l’impression de lire deux livres à la fois. D’une part, l’enquête de Darlac avec ses rebondissements dans ce « vieux » Bordeaux. D’autre part un long roman-documentaire sur des épisodes de la guerre d’Algérie dont je n’ai pas toujours ressenti ni l’absolue nécessité ni l’intérêt (sauf documentaire justement).
Heureusement, l’épilogue inattendu apporte un peu de gris moins noir que le noir de ce roman.
Paru le 13/05/2015
574 pages
Rivages
8,50 €
Paru le 20/01/2021
317 pages
Rivages
20,90 €
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