A 29 ans, David Grémillet boucle, en 1997, un doctorat à l’Institute of Marine Research à l’Université de Kiel. C’est le point de départ d’une carrière d’océanographe dans différents postes au sein du CNRS qu’il réussit à intégrer à compter de 1999.
Depuis, comme l’indique sobrement sa biographie, il s’est investi dans l’étude de la physiologie des oiseaux et dans le développement et l’utilisation de nouvelles technologies dans le suivi des animaux (et notamment les oiseaux marins dans leurs stratégies de nourrissage et de migrations) afin d’approfondir la compréhension des réponses des oiseaux marins aux changements globaux dans leur environnement, et pouvoir proposer des pistes d’amélioration ou de développement de stratégies de protection des milieux marins et de leurs occupants.
Ce livre rejoint, dans la superbe collection d’Actes Sud « Mondes Sauvages » : toute une série de témoignages et de réflexions portés pas des scientifiques ou des penseurs sur une variété époustouflante (comme l’est la biodiversité) de sujets en relation avec la « Nature » (avec un grand N) et, malheureusement, ce qu’elle devient face aux coups de boutoir que l’Humanité lui inflige.
J’aime à rappeler l’esprit fondateur de cette collection qui s’affiche en tête de chaque ouvrage : « La nation iroquoise avait l’habitude de demander, avant chaque palabre, qui, dans l’assemblée, allait parler au nom du loup » !!! Là, David Grémillet ne parle pas « au nom du loup », mais au nom des oiseaux dont, depuis des années, il suit les comportements aux quatre coins de la planète.
Son ouvrage est découpé en huit chapitres distincts et totalement indépendants les uns des autres (même s’il y a quelques références réciproques entre eux) et qui peuvent se lire, sans aucun souci, dans un ordre totalement différent de celui qui est figé par la mise en page.
Chacun de ces chapitres est l’offre d’un nouveau voyage, souvent à l’autre bout du monde, parfois, là, juste sous notre nez, à deux pas de certains lieux de villégiature estivale (et pourtant il est vraisemblable que vous n’avez jamais soupçonné ces voisins laborieux, infatigables et obstinés qui les habitent depuis des temps immémoriaux).
À chacun est associé une espèce, la plupart du temps endémique que l’auteur a étudiée et dont il nous dévoile les comportements parfois ahurissants, les adaptations physiques, physiologiques et comportementales qui, au fil des millénaires, ont provoqué des adaptations incroyables pour supporter le froid, le chaud, pour détecter la nourriture, pour optimiser les chances de succès de la reproduction, pour se préserver des prédateurs… En un mot pour multiplier les chances de survie individuelle et, par voie de conséquence, de survie de l’espèce par delà les soubresauts que la Terre peut bien provoquer.
Le grand cormoran polaire au Groenland, le mergule nain sur la Terre François-Joseph, l’albatros à sourcils noirs au large des Malouines, le fou de Bassan en Bretagne, le puffin de Scopoli en Méditerranée, le manchot du Cap en Afrique du Sud, la sterne fuligineuse au milieu de l’océan Indien, le manchot Adélie en mer de Ross au cœur de l’Antarctique. Voilà les compagnons de ces voyages que propose David Grémillet.
Des compagnons de voyage qu’il a suivis, bagués, observés, équipés de matériels de toutes sortes (et bien sûr adaptés aux capacités physiques de chacun en fonction de son poids) pour collecter des données en nombres vertigineux qui permettent, à leur récupération, de déterminer les trajets quotidiens vers les aires de nourrissage, les itinéraires saisonniers de migration, les us et coutumes de ces lointains descendants des dinosaures qui restent, pour beaucoup d’entre eux, extrêmement méconnus.
C’est le travail collectif et international qui a permis la conception des « géolocateurs » qui sont devenus l’outil de travail quotidien des spécialistes pour étudier les oiseaux et obtenir des données qui apportent des éléments de réponse fondamentaux, mais complémentaires aux macro-observations des dynamiques des populations.
C’est en mettant en évidence la surexploitation de certaines eaux par la pêche industrielle qu’il est devenu clair que toute possibilité d’alimentation était quasi totalement soustraite au bec des oiseaux : une contrainte supplémentaire majeure parmi les nombreux obstacles naturels auxquels les populations, déjà fortement impactées par les incidences du réchauffement des océans, doivent faire face.
Ce sont ces observations qui permettent de proposer la création de réserves marines pour ne pas transformer les océans en déserts aussi bien au-dessus qu’au-dessous de l’eau. Ce sont elles qui mettent au grand jour l’aberration d’une surpêche au large de l’Afrique du Sud qui fait péricliter les populations d’oiseaux ainsi que les possibilités de pêche locale au profit de la fabrication de farines qui serviront de nourriture pour les élevages de saumons de Norvège !!!
Ce sont encore elles (et les préconisations qu’elles conduisent les scientifiques à faire) qui mettent en évidence la vacuité des positions des politiques qui, alors que le continent antarctique a, pour l’instant, été sanctuarisé, refusent (aux premiers rangs desquels la Chine et la Russie) d’englober dans cette protection les océans qui le bordent mettant en péril cette sanctuarisation au profit de « l’ingérence des pêcheries [qui] menace l’Antarctique, cette réserve naturelle dédiée à la paix et à la science ».
Alors, certes, on peut voir le verre mi-plein ou mi-vide, mais je dois avouer que ce témoignage n’a pas beaucoup contribué à améliorer mon déficit personnel de confiance dans l’Humanité qui me paraît en avoir bien peu (d’humanité)…
Il faut lire ce livre tant qu’il existe encore une chance d’apercevoir certains de ces oiseaux, ici ou là, et pour se forger de nouvelles raisons d’essayer de faire quelque chose : commencer par arrêter de consommer du saumon d’élevage norvégien, peut-être ?
Paru le 06/10/2021
232 pages
Actes Sud Editions
22,00 €
Paru le 03/10/2016
334 pages
CNRS
29,00 €
Paru le 10/05/2019
348 pages
Wildproject Editions
22,00 €
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