Matzneff : refusée par l'édition, une accusatrice choisit d'autopublier son témoignage
En mars 2020, Francesca Gee, qui se présentait comme une autre victime présumée de Gabriel Matzneff, accordait un entretien au New York Times. Ancienne journaliste, elle avait d’ailleurs proposé bien avant Vanessa Springora un ouvrage relatant son histoire : en 2004, les éditeurs de la place parisienne l’avaient refusé. Matzneff n’était pas encore un sujet. Depuis, l’écrivain a été accusé de pédocriminalité, même si pour l’heure, la prescription des faits imputés plaide en sa faveur.
Le 03/09/2021 à 11:00 par Clément Solym
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03/09/2021 à 11:00
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« Ce n’est visiblement pas la qualité du livre qui était en cause. Clairement, c’était quinze ans trop tôt. Le monde n’était pas prêt », affirmait l’an passé Geneviève Jurgensen, alors éditrice chez Bayard. Le livre n’entrait de toute manière pas dans la ligne éditoriale de la maison, mais ne trouvait pas non plus l’écho nécessaire.
Re(co)naissance
Portée par la vague qu’avait déclenchée Le Consentement, Francesca Gee a décidé de passer elle aussi à l’autoédition pour commercialiser sa version de l’histoire, intitulée L’arme la plus meurtrière. Elle y reprend son témoignage et ses déclarations concernant l'emprise dont elle fut victime, à l’âge de 15, dont Gabriel Matzneff, explique-t-elle dans les colonnes de Elle. « [J]’y raconte ce que j’ai vécu, et surtout je démonte le système et le fonctionnement de Matzneff. »
Un piège que Matzneff aurait savamment refermé sur elle, mais aujourd’hui âgée de 63 ans, elle assure que si c’étaient « les mots de l’amour, l’apparence de l’amour, mais c’était tout sauf de l’amour ». Poèmes, flatteries, intérêt soudain : « Personne ne m’avait mise en garde, et Matzneff était un suborneur très expérimenté, presque professionnel, pourrait-on dire ! »
Avec ses relations, il me fait inscrire au lycée Montaigne, tout près de chez lui. Il m'attend à la sortie le midi, nous allons chez lui, je retourne en classe l'après-midi… Tout le monde le voit, le sait, personne ne trouve rien à redire. Il m'amène partout, chez son éditeur ou à des dîners avec ses amis…
Francesca Gee
Malgré les efforts de sa mère, pour la tenir éloignée, le piège se referme, alors que Matzneff semblait bien vu par son père, pour qui la liaison entre l’adolescente et l’auteur était acceptée. Une relation qui durera jusqu’à ses 18 ans, et persistera dans les écrits de l’auteur : Ivre du vin perdu évoque son assassinat, puis, dans sa version poche, utilise une photo d’elle, et des années plus tard, sortira La Passion Francesca.
Sans soutien, elle aura par deux fois tenté de solliciter un avocat, mais sa démarche se retournera contre elle, assure Francesca Gee. D’ailleurs, elle figure dans Vanessavirus, ouvrage autopublié par Matzneff.
MATZNEFF: Vanessavirus, son ultime livre
« À 16 ans déjà, je le traitais de porc libidineux, c’est lui-même qui l’a écrit ! Mais cela ne faisait qu’alimenter son système. Il accusait les femmes de le persécuter, d’être des harpies. Il les haïssait. Pour lui, l’acte sexuel est une porte d’entrée : il s’introduit dans votre intimité, et là, il commence à vous détruire avec méthode, pierre par pierre, il vous démolit. »
Qu'importe, désormais
Si elle déplore la publication par les éditions Gallimard des textes à l’époque, elle pointe également « les protections dont il a bénéficié ». Dès 1994, elle tentera de présenter des manuscrits aboutis, « mais il était tellement protégé » que les refus fusèrent.
Le titre de son ouvrage, référence à un entretien entre Matzneff et Thierry Ardisson, est proposé en autopublication, vendu à compter du 28 septembre prochain. Il sera disponible sur ce site et en librairie, et l’on peut d’ores et déjà en consulter un long extrait.
« Je ne sais pas comment il va être reçu, mais cela ne me fait pas peur. Il est possible que je sois attaquée, ce n’est pas bien grave. Je ne veux plus me censurer », poursuit-elle. Elle interviendra d’ailleurs dans un documentaire que France 2 doit diffuser ce 8 septembre. « Vous savez, quand on a passé sa vie à se terrer pour échapper au harcèlement et à la honte, chaque palier franchi, chaque acte d’affirmation de soi a son poids. »
Francesca Gee ne fut pas la première à tenter de dévoiler les petits secrets de Gabriel Matzneff : en 90, la maison Grasset s’était vu proposer un ouvrage, renvoyé aux oubliettes par Jean-Claude Fasquelle qui dirigeait alors la maison. Olivier Nora, l’actuel dirigeant de la boutique, qui a accepté la parution du livre de Vanessa Springora, réfutait alors toute idée de censure.
Ainsi, « imaginer que chaque manuscrit aimé par un éditeur de la maison et néanmoins refusé par un comité de lecture ou par le patron ne peut l’avoir été que pour des raisons inavouables est tout à fait grotesque ».
ActuaLitté a sollicité l'avocat de Gabriel Matzneff, Me Emmanuel Pierrat, pour plus d'informations. Dernièrement, et au terme d’une étrange audience, Matzneff a été blanchi de l’accusation portée par l’association L’Ange bleu « d’apologie de crime pédophile ». Une autre plainte, avec constitution de partie civile, déposée en 2014 par l’association Innocence en danger contre X pour « apologie d’agression sexuelle » avait elle aussi été classée sans suite après un cafouillage administratif.
Le témoignage de Francesca Gee interviendra dans le documentaire de Karin Dusfour, Qui ne dit mot ne consent pas, diffusé dans l’émission Infrarouge de France 2, présentée par Marie Drucker.
Dossier - L'affaire Matzneff, du prestige littéraire au banc des accusés
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8 Commentaires
O la la
04/09/2021 à 08:45
« Depuis, l’écrivain a été accusé de pédocriminalité, même si pour l’heure, la prescription des faits imputés plaide en sa faveur. »
Comment peut-on écrire une telle chose ? Comme si une prescription « plaidait » pour quelqu'un. Une prescription exonère d'un éventuel procès un coupable avéré. C'est tout !
Plaider en faveur, c'est défendre quelqu'un, donc le laver d'une attaque...
SamSam
04/09/2021 à 10:30
Ca fait près de cinquante ans que les faits ont eu lieu, vingt-quatre ans que la victime a tenté de faire publier sa version...Et tout d'un coup elle passe à l'auto-édition dans la grande vague des déballages bankables pour l'édition et/ou la presse, la télé... Y a comme un bug, là, un reset qui sent son opération performative.
Tout ça pue un peu, comme la virgintié de l'édition industrielle qui, la main sur le porte-monnaie, jure publier sa littérature industrielle pour pouvoir publier la Vraie, la Grande littérature.
Justifiant ainsi le résultat, l'objectif initial, le profit sans limites autres que l'appétit du public pour du déjà-lu, du fade, des tombereaux de mots vite ingérés aussi vite oiubliés.
Occultant le travail qu'elle ne fait pas, promouvoir le Livre de qualité, montrer qu'il peut parler à tous et particulièrement à la "France d'en bas" qui lit de moins en moins, vu qu'on ne lui fait pas connaître, dans l'édition qui ratisse large, et surtout pas via les ministère concernés, des livres, des auteurs qui lui parleraient, qui parlerait de sa vie, de ses espérances, de ses révoltes, de sa culture, avec un style, un ton, un grain qui puisse subvertir l'image, particulièrement les images débiles et violentes des médias de milliardaires.
Sans parler de la spoliation permanente que cette édition opère sur les principaux maçons du Livre, les auteurs, hier à peine payés avec 10% de droits, aujourd'hui confinés à toucher 7% d'obole pendant que les gras éditeurs se goinfent, comme la distribution.
Tout ça pue un peu, parce qu'il y a répétition là aussi. La propaganda télé-visuelle, l'édition, la presse officielle, ils y vont tous de leur scoop nappé de moraline, pour faire ralentir les accidentés de l'émotion, le grand public qui ne vit plus que par procuration et par autorisation sanitaire. Ainsi, on construit des histoires à épisodes, toutes un peu les mêmes qui vont surgir dans la presse-minute, s'étoffer sur les alertes infos de BFMTV et se déployer dans les confessions dramatiques de Cosette mémorielles à grand tirage et planning stratégique. Pince à linge, merci.
volaudessusdunnid
04/09/2021 à 17:09
Je pense que Sam Sam a un compte à régler avec l'édition, dont il ne connait pas les budgets ni le fonctionnement. Avec les frais de maquette, de corrections, d'impression, parfois de traduction, d'avance sur droits aux auteurs, plus les impositions sur les ventes et les marges rocambolesques des diffuseurs distributeurs, plus les remises aux libraires, les éditeurs selon le prix du livre en retirent des miettes. Sur un livre vendu 35 euros en librairie, une fois tout le monde payé, il va lui rester environ 5 euros par livre, pour se goinfrer, comme dit Sam Sam. Les éditeurs publient beaucoup pour faire la balance entre l'énorme quantité de livres se vendant peu avec lesquels ils perdent des dizaines de milliers d'euros et les quelques titres qui marchent. Si une infime quantité d'auteurs vivent de leur plume, ce n'est pas la faute des éditeurs mais du marché, d'un système en surproduction, de l'accueil du public, et d'un système de diffusion/ distribution presque toujours aux mains de médiocres représentants. C'est la réalité, du vécu dont les auteurs ne se rendent pas compte!
LOL
06/09/2021 à 07:00
« Si une infime quantité d'auteurs vivent de leur plume, ce n'est pas la faute des éditeurs mais du... »
On va pleurer... Pitié ! Le pauvre éditeur qui se saigne pour publier des auteurs qui ne se vendent pas... Que c'est triste !
Arrêtez avec cette légende urbaine : vous faîtes mal votre métier. C'est tout. Et puis, si la répartition du prix du livre était AUSSI avantageuse pour tous les acteurs, y compris le maillon faible (mais qui est curieusement le maillon central sans qui rien ne serait possible), alors beaucoup d'auteurs qui ne vivent pas de leur plume pourrait le faire (malgré le méchant marché qui fait rien que vous embêtez !)
SamSam
06/09/2021 à 10:17
"Je pense que Sam Sam a un compte à régler avec l'édition"...
Faudrait savoir d'abord ce qu'il est exactement VANCC...Un coup auteur, un coup éditeur...Un coup sous-marin du SNE ?...
Evidemment que j'ai des comptes à régler avec les gros éditeurs. Mes posts expliquent clairement pourquoi. Mais, pour ton cul entre deux chaises, c'est pas bien.
Hein que c'est pas bien de critiquer CalliGraSeuil.
Tu vas faire pleurer dans les chaumières avec tes contes à dormir debout. Les gros éditeurs se gavent, les moyens comme l'Harmattan font de la cavalerie, rémunèrent pas ou peu les auteurs, et se gavent pareil.
Ce que énumère comme frais, c'est juste le travail normal d'un éditeur normal, mais tu n'y connais sans doute rien, au travail, pas plus le travail d'auteur que le reste. T'as pompé quelques poncifs ultra-libéraux sur un coin de table et tu répètes une doxa débile, dinosaurienne, à laquelle les milliers d'auteurs refusés, et le reste des publiés, hormis le bas de casse qui écrit au km et se voit mis en avant par l'édition industrielle.
T'as oublié, ami missionné, les dizaines d'éditeurs poussés à la ruine parce qu'ils veulent faire du travail de promotion de la qualité. Ils sont poussés par qui, à ton avis, hormis, les soldats du ministère de l'inculture crasse ?
Ils sont écrasés, ou rachetés, par la poignée de ce qu'on appelle "édition" au SNE. La grosse édition imprime, autant dans les rayons et les têtes , que sur le papier, sa médiocrité de pensée, d'auteurs, de création et la répète ad nauseam. Et la qualité, pas défendue, pas protégée, éclos dans le silence. Ces éditeurs ne gagnent rien parce qu'ils ne vendent rien grace au ministère de Marché et à leur confrères ennemis qui vont jusqu'à truster les rayons, truster les bibliothèques...
Ce modèle là enrichit les multinationales du Livre, pas les auteurs, pas les éditeurs véritables, et surtout pas la qualité. Bref, tu défends avec de mauvais arguments, l'indéfendable, mister undercover.
Ephémère
14/09/2021 à 14:54
Je ne m'y connais pas beaucoup mais il me semble que c'est quand même un peu la faute aux éditeurs si les auteurs vivent sous le seuil de pauvreté... La réclamation d'un seuil de 10% pour les auteurs ce n'est pas nouveau et toujours d'actualité, une rapide recherche sur Google montre que - même s'ils sont avant tout des entreprises qui doivent engranger du chiffre d'affaires - les auteurs sont souvent méprisés par les maisons d'éditions. Ce qui est paradoxal mais cruellement logique : c'est la cible la plus facile de la chaîne...
Aradigme
04/09/2021 à 11:38
La phrase de l'éditeur qui "réfute toute idée de censure" me parait particulièrement intéressante. Bien entendu, les éditeurs ne censurent pas. C'est plus subtil. Ils ne veulent pas embarasser un collègue ou auteur qu'ils retrouveront dans un dîner en ville, ils refusent de disséminer des idées qu'ils estiment contraires à leur éthique, ils s'abstiennent de publier un ouvrage qui n'évolue pas dans le "sens du temps", ils ne désirent pas risquer un flop financier avec un ouvrage que ne demande pas le public qui, comme le disait Steve Jobs, ne sait ce qu'il désire que quand on le lui montre (voir le cas Harry Potter refusé 15 fois). Les éditeurs se montrent responsables et évitent à leur entreprise des risques juridiques... Les raisons de refus, conscientes ou non, sont multiples. La décision de non publication, parfaitement légale et souveraine, ne peut en aucun cas se voir considérée comme une censure. Tout au plus pourrait-on éventuellement parler de "censure collatérale", comme il existe des dommages collatéraux.
Pic
06/09/2021 à 07:10
Ça se discute.
Quel est le but affiché d'un éditeur ? Personne ne le sait. Sur leur site, on peut souvent lire qu'ils cherchent « des voix » et qu'ils ne sont pas regardant du moment que cette voix existe.
Dans les faits, c'est archi faux (ou alors beaucoup d'éditeurs ont un filtre littéraire du niveau maternel). Ils ne cherchent pas une voix, mais un succès. Ils cherchent donc à se démarquer pour pouvoir créer un nouveau créneau, tout en ne prenant aucun risque (ce qui vous rejoint ici).
Le « pas de risque », c'est une censure. Je ne prendrais pas un texte de qualité (histoire, style, etc.) si on peut me chercher des poux (trop à « contre-courant » (politiquement correct donc !)). De fait, ne pas choisir un manuscrit qu'on prendrait sinon, volontairement ou non, revient à se censurer.
De fait, on peut juste se poser de la question de la liberté d'éditer en France. Un éditeur est-il vraiment libre de publier ? Et son corollaire : un auteur est-il libre d'écrire ?
La réponse semble cruellement non. Aux deux. La première, parce que ces éditeurs seraient mis au ban du système (par exemple, les éditions Ring - trop à droite - sont blacklistés chez un grand nombre de libraires), la seconde parce que l'auteur n'est pris chez aucun « grand » éditeur.
La censure existe et est active. Mais elle est atrocement silencieuse et tue. Le pire des méfaits est le méfait non dénoncé.