ROMAN FRANCOPHONE– La presse nationale a largement commenté dès sa parution le premier roman de Jean-Baptiste de Froment intitulé État de nature. Des critiques particulièrement élogieuses et souvent de bonne visée. Il faut dire que cet ouvrage tombait à pic dans une France en pleine crise, ou supposée telle. Encore jeune quadragénaire l’auteur n’est d’ailleurs pas un novice de la politique.
Fils d’un haut fonctionnaire, congénère d’Emmanuel Macron au Lycée Henri IV puis conseiller de Nicolas Sarkozy, proche de Xavier Darcos, le romancier connaît bien les ficelles du pouvoir, il a baigné dedans. Rien de tel logiquement pour être en mesure de remettre les pendules à l’heure et poser un regard singulier sur les couloirs opaques du dudit pouvoir au moment même et quelques mois plus tard, où il semble de nouveau fragilisé.
En effet quand les Français s’émeuvent de leur sort, ils se rebellent, pas toujours de manière délicate il faut le reconnaître, mais le gaulois est un ardent partisan des révolutions éphémères fussent-elle injustement sanguinaires. En France, on coupe la tête des rois ! En clair le petit peuple ne renonce jamais à se faire entendre, même si les revendications font souvent flop face à un pouvoir armé jusqu’aux dents qui ne fait pas forcément la part belle aux prises de position populaires jugées indélicates ou tout bonnement décalées dans les faits.
Il n’empêche que le peuple aime ériger des barricades aussi solides que des cabanes, sans pour autant prendre l’allure de forteresses imprenables, car finalement le Français s’essouffle vite désormais. L’histoire est déjà passée par là, elle a fait son trou, et le réchauffé ça ne paie plus vraiment. Affaire de positionnement plus que de discours. Il devient alors nécessaire de réécrire la partition, et tant qu’à faire changer l’orchestre quand cela est encore possible.
Toute la question est précisément là. Une France d’en haut et une France d’en bas. Et une France majoritaire en terre du milieu, on songe alors aux classes moyennes qui ne cessent de piailler, « les culs-terreux » de la République en somme, ceux que l’on prélève outrancièrement et qui parfois ne s’en remettent pas ou presque ! Ramer est un ordre de grandeur, un calcul mathématique.
Et soudain c’est la guerre. « Aux armes citoyens, formez vos bataillons ! » Vivement un coup d’État pour remettre de l’ordre dans la maison mère qui décidément n’y comprend plus rien.
L’élite est devenue autiste, « entourés d’une épaisse vapeur, ceux-ci ne voient plus rien, le pouvoir isole » ; elle bave et glorife ses insondables décisions, couchées sur d’inutiles parchemins, elle croit pourtant bien faire, payée pour ça, et ce faisant, elle en oublie le petit peuple, qui lui mange des navets qui ne sont plus des choux gras. Les caisses se vident et les acquis sociaux partent en fumée.
Finie la culture de la dignité. Place à la culture du pire. Fi du Gaullisme réconciliateur ! Nous voilà entrés dans sa phase de déconstruction, sur fond de cathédrale cramée, et de gilets ternis par l’odeur d’une violence décidément innée. Quand il n’y a pas de porte-voix digne de ce nom, les mots n’ont guère de poids. Fatalité de la déraison opposée aux bonnes et vertueuses intentions. Sauf qu’un lièvre se laisse difficilement attraper surtout lorsqu’il gouverne.
Et le constat est le suivant : « Qui n’a jamais rêvé d’être reconnu à sa juste valeur ? » Le problème se situe donc dans la reconnaissance originelle du mérite illusoire. Là où les frustrations se cumulent et font leur nid. Attention de ce point de vue le danger semble imminent. Ras-le-bol d’être pris pour un nul ! « J’existe ».
Une vieille dame cramoisie qui ressemble plus à un vampire qu’à une starlette de cinéma et que trois mandats ont littéralement épuisée, voire carrément aplatie, laissant derrière elle un bilan sournois et une succession servile. Des courtisans qui s’épuisent, mais qui songent au traquenard. Dans pareil cas, il faut sauver sa peau, se mettre à l’abri de la tempête, sinon c’est certain c’est la fin des haricots, et la guillotine implacable plane toujours au-dessus des têtes.
Il serait tout de même bien dommage de perdre la sienne après une si belle carrière. Car dans la Douvres intérieure la colère gronde, même si dans ce trou perdu il ne se passe rien ! Sauf que les langues se délient et susurrent la révolte, la France du Très bas, à son mot à dire. Avant l’aurore la Province tremblera.
Il n’en fallait pas moins pour Barbara Vauvert, préfète de la bourbe régionale pour s’incarner en Jeanne d’Arc de l’opinion incertaine et tronquée. Se rapprocher du peuple présente cependant un risque, celui de lui déplaire et de finir dans un charnier la tête en l’air et les jambes écartées.
Il faudra donc user de séduction, mais plus encore de compassion. Et le tour est joué, à moins de se faire virer manu militari par l’influent ministre. Un simple coup de fil suffit à faire exploser l’ambitieuse, mais maladroite soubrette ! Mais il y a l’allié de poids dénommé Arthur Cann, qui certes n’est pas une décalcomanie de Gengis, lui se contente d’être un apprenti philosophe écolo qui rêve de créer une prairie genre « fiction fantastique », « enracinée, connectée et hautement numérisée » pour le monde de demain.
Et il se trouve que ce rêve-là est aujourd’hui ancré dans de nombreux esprits qui n’en peuvent plus d’avaler du radon. La France oubliée, désincarnée aspire à l’air pur et au bon saucisson. Aux légumes de saison et aux mutualisations pérennes. Ô généreuse solidarité ! Il n’en fallait pas plus pour inverser la courbe du temps. Claude ! Claude ! N’as-tu rien vu venir ? Fin de citation. Vive la France !
Il faudra donc à plus d’un titre remercier son auteur Jean-Baptiste de Froment d’avoir mis « les pieds dans le plat en prenant le taureau par les cornes » avec une vraie sincérité de ton. Certes il manque de barons locaux parfaitement expérimentés au sommet du pouvoir. Jean-Baptiste De Froment l’affirme lui-même : « Le pouvoir central n’a plus de capteur, il n’est plus irrigué ».
Mais n’est pas baron qui veut ! Il faut prouver que « l’on sait faire », sans fomenter l’injustice et attiser la haine. Mais sauf erreur de ma part, cette grâce n’en touche que quelques-uns. Un ouvrage persuasif qui colle à l’actualité.
Jean-Baptiste de Froment – État de nature – Aux forges de Vulcain – 9782373050516 – 18 €
Paru le 04/01/2019
264 pages
Aux Forges de Vulcain
18,00 €
Commenter cet article